On vit dans une société qui est égalitaire, on vit dans une société qui est démocratique, on ne devrait plus se gouverner par le biais de menaces, de groupes comme ça qui se permettent de le faire.
Michelle Courchesne
On retrouve le concept de la fin de l'histoire chez plusieurs philosophes majeurs, dont Hegel et Kant. Mes notions de philosophie étant assez basiques, je ne voudrais pas tenter d'expliquer les subtilités de ces différentes approches. Pourtant, certains protagonistes du débat social actuel m'ont fait repenser à cette notion linéaire (et libérale) de l'histoire selon laquelle il existe quelque chose comme un développement optimal des idées (et donc du devenir historique de l'humanité).
En bref, l'idée de la fin de l'histoire implique que nous évoluons de manière ascendante (ce que nous appelons la civilisation) et qu'il y aurait une fin à cette évolution, un stade ultime de développement. Pour certains, nous l'avons atteint puisque ce stade est la démocratie libérale capitaliste telle que nous la vivons en Occident. Cette idée a été remise à l'ordre du jour à la fin du XXe siècle par Francis Fukuyama qui interprétait la chute du Bloc de l'Est comme la preuve de la victoire du modèle démocrate libéral. La fin de l'histoire pourrait être assimilée à un argument d'autorité historique. On constate dans le débat actuel que plusieurs intervenants intègrent l'idée de la fin de l'histoire et l'utilisent comme une prémisse, probablement sans même le savoir.
On peut d'abord penser à l'interdit des comparaisons. Sous prétexte qu'il s'est fait une série de comparaisons grotesques, toute comparaison devient impossible. Impossible de jouer de la casserole par crainte de trahir la mémoire des peuples sud-américains qui en ont joué auparavant. Impossible de référer à Gandhi pour expliquer la désobéissance civile puisque la situation ici n'a rien à voir. Impossible de comparer la loi de Poutine et celle de Charest parce que le Québec n'est pas la Russie. Impossible de comparer cette lutte à n'importe quelle autre lutte historique pour les droits sociaux.
L'interdiction de toute comparaison historique ou géographique sous-entend la fin de l'histoire. On ne peut se comparer puisque "avant" ou "ailleurs" ils avaient de bonnes raisons de vouloir contourner les pouvoirs en place. Ici et maintenant, nos raisons sont faibles puisque notre système est fondamentalement juste. Le contredire devient donc une aberration.
Dans l'éditorial de Mario Roy dont j'ai déjà parlé, on retrouve des idées de fin de l'histoire. Si on estime que la liberté ultime du citoyen aujourd'hui est de rester en paix et en silence, c'est justement parce qu'il peut se reposer après avoir beaucoup travaillé pour atteindre ce stade de développement qui est celui de la société libérale capitaliste tranquille où il vit. La fin de l'histoire perçait aussi dans plusieurs chroniques signées par Yves Boisvert dans les derniers mois. Celle-ci, dans ses passages concernant les perquisitions, est un exemple. On comprend bien, entre les lignes, que M. Boisvert a pleine confiance aux institutions et estime qu'il devait y avoir de bonnes raisons pour que ces perquisitions aient lieu (même s'il n'en sait probablement rien, puisque les motifs n'ont toujours pas été divulgués). Quelque chose d'aussi absurde qu'un abus des pouvoirs policiers ne pourrait se produire, ici, maintenant, dans le cadre d'un tel événement. Et s'il y a abus, ils seront nécessairement punis un jour.
Dans l'idée de la fin de l'histoire, il y a une notion de confiance quasi inébranlable aux institutions. Je ne dis pas que c'est le cas de M. Roy et M. Boisvert, simplement que leurs arguments pigent dans cette idée de confiance et de comparaisons inutiles. Le système n'a jamais aussi bien été, pourquoi douter de lui? C'est ce que nous dit la citation de Mme Courchesne: les rapports de pouvoir dans notre société ne posent pas problème selon eux, donc ils dénoncent tous ceux qui cherchent à les modifier.
Je suis plutôt de ces gens qui ne croient pas que l'histoire a une fin. De ceux qui pensent qu'on peut toujours faire mieux, plus juste, plus équitable. De ceux qui estiment que notre système est encore plein de failles et d'iniquités. On nous dit utopistes? Je réponds, tant mieux.
À toutes les époques, il y a eu des gens pour nous dire que le système en place était le meilleur, que les lois étaient justes, qu'on ne pouvait espérer mieux et qu'il serait absurde de désobéir. Des gens pour le dire aux femmes, aux Noirs, aux travailleurs (entre autres) qui se battaient pour plus de justice. Mais bon, je parle dans le vide. On me répondra qu'avant c'était différent, bien pire que maintenant. Et sous prétexte qu'il y a pire, il faudrait demander moins.
Je suis bien contente que l'histoire ne soit pas finie, les perspectives me sembleraient bien grises.
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