Critics are, above all, people who are in love with beautiful things, and who worry that those things will get broken.
Daniel Mendelsohn, How Beautiful It Is and How Easily It Could Be Broken
Parmi les lieux communs qui pèsent lourd à propos des critiques, il y a celui de l'artiste raté. Ne reculant devant rien, j'ai confronté les critiques rencontrés dans le cadre du projet Métier = Critique à cette image qui leur colle à la peau (et au stylo). Quelques fous rires, mais aussi quelques malaises plus tard, voici le résultat de ce sondage qui avait le mérite d'avoir une question claire: es-tu un/e raté/e?
Manon Dumais a rigolé, avant de répondre par la négative sur un ton incrédule comme si j'étais la première à soulever la question. « Je n'ai aucun talent. En fait, je suis peut-être ratée puisque je n'ai aucun talent... » Comme d'autres après elle, Manon dira que si elle est ratée, ce n'est pas de l'art, mais de l'enseignement dont elle rêvait plus jeune. En effet, plusieurs des critiques rencontrés ne se dirigeaient pas dans ce domaine même s'ils avaient tous, dès l'enfance, une passion pour les arts.
Rares sont ceux, en effet, qui parleront de la critique comme une lointaine vocation. Philippe Couture est peut-être celui qui a su le plus tôt qu'il voulait être critique de théâtre. « Profondément, c'est de la critique que j'ai envie de faire. Je suis spectateur, beaucoup plus qu'artiste ». Il raconte tout de même qu'adolescent, il s'imaginait acteur. C'était la porte d'entrée logique vers le théâtre qui le fascinait. Mais maintenant qu'il a trouvé sa place, ce rêve de jeunesse n'a laissé aucune trace. « Je n'ai aucun projet nébuleux de création » conclut-il en souriant.
D'autres ont eu des projets artistiques, tel Christian Saint-Pierre qui avait songé à s'inscrire en mise en scène à l'École nationale de théâtre. Mais il n'entretient aucun regret et se sent tout à fait chez lui sur le territoire de l'analyse. D'ailleurs, Christian insiste auprès des étudiants auxquels il enseigne la critique: la pire attitude est celle qui consisterait à imaginer le spectacle dont ils rêvent. Un critique analyse une proposition, il ne doit jamais se substituer au créateur (qu'il ait, ou non, des notions ou des compétences en création).
Philippe Papineau s'est exclamé qu'il était « très raté, oui! » avant d'admettre qu'il sait jouer de la musique. Il est d'ailleurs déjà monté sur scène avec d'autres critiques musicaux sous le nom Les Ratés sympathiques. Selon Philippe, c'est une force pour un critique d'avoir des connaissances musicales. Devrait-on conclure que tous les critiques devraient avoir des notions particulières dans leurs discplines?
Marc Cassivi répondrait qu'il faut connaître sa discipline, mais pas nécessairement d'un point de vue créatif. « Je ne pense pas qu'il faut être un artiste pour critiquer de l'art. Ce n'est pas ça notre travail! Je n'ai pas besoin de me mettre à la place du scénariste pour comprendre pourquoi son scénario est bancal. Je ne crois pas à ça... » Hugues Corriveau (lui-même un artiste) irait dans le même sens: la critique est un travail intellectuel qui n'est pas un sous-produit du travail de création. Il parle avec respect et admiration de gens, comme Robert Lévesque et Claude Gingras, qui se sont complètement réalisés dans le travail critique. Jérôme Delgado a aussi insisté sur l'aspect analytique du travail de critique. Lorsqu'il était adolescent, c'est bien à l'histoire de l'art (et non à l'art) qu'il s'intéressait.
Pour sa part, Brendan Kelly m'a avoué que même les autres journalistes ont tendance à croire que les critiques font un travail facile. Il ne nie pas que c'est une belle vie, mais c'est quand même un métier que tout le monde ne peut pas faire. La meilleure preuve? « Il y a tellement de mauvais critiques! »
Suivant Brendan, on pourrait affirmer que si un critique est raté, ce n'est pas parce qu'il n'est pas un artiste, mais parce qu'il fait mal son métier. Philippe Haeck écrivait en 1975 dans Le Devoir: « Tout ce que nous pouvons reprocher à un critique ce n’est pas de penser d’une façon différente, c’est de ne pas penser, c’est-à-dire de n’être pas critique. » C'est dans son travail analytique qu'on peut juger de la qualité d'un critique, pas dans ses goûts. Les critiques que j'ai rencontrés tentent tous, avec des moyens inégaux et souvent insuffisants, de faire circuler des idées et d'alimenter un dialogue autour de l'art.
C'est peut-être en ça, justement, qu'on les trouve ratés. Après tout, il faut sans doute être un peu paumés pour consacrer sa vie à réfléchir...
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Pour consulter la série Métier = Critique:
No1 - Manon Dumais | No2 - Philippe Couture | No3 - Philippe Papineau | No4 - Brendan Kelly | No5 - Jérôme Delgado | No6 - Jean Fugère | No7 - Matthieu Petit | No8 - Aline Apostolska | No9 - Christian Saint-Pierre | No10 - Normand Provencher | No11 - Hugues Corriveau | No12 - Marc Cassivi
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