Il m'arrive de me demander si le discours de révolte, quand il a la force d'être uni (comme dans unité), n'a pas aussi la faiblesse de l'être (comme dans couleur unique). Une couleur unique que je n'oserais qualifier de drabe, mais qui en tout cas devient moins intéressante quand elle se décline partout dans la même teinte.
Le constat m'a frappée particulièrement pendant que je lisais le numéro que la revue de théâtre Jeu consacrait l'année dernière à l'ennui. Intéressant et stimulant, ce numéro qui voulait explorer les différents angles de l'ennui au théâtre laisse pourtant place au discours d'une révolte qui finit par sonner assez uniforme.
Ainsi, il me semble que le discours de révolte qui s'exprime actuellement dans le milieu théâtral s'organise autour de quelques axes finalement assez répétitifs: le théâtre institutionnel manque de colonne pour ouvrir des portes réellement originales, nous donnons dans le « télévisme » en prenant le public pour des demeurés qui ne peuvent comprendre autre chose, il n'y a pas de place pour faire entendre d'autres voix, nous sommes devenus trop institutionnels et à la solde des bailleurs de fonds et de leurs exigences.
Le théâtre n'est pas mon milieu, mais à première vue, je dirais que je partage ces observations. Elles sont d'ailleurs assez transférables. En littérature, il existe un discours du même genre contre les institutions, y compris les maisons d'édition les plus établies. Et aussi paradoxal que ça puisse paraître, il me semble qu'on reproche aussi à la télévision de faire du « télévisme », c'est-à-dire de ne pas être en mesure de s'éloigner de ses propres dogmes de mise en scène.
Le problème, c'est que cette révolte unie finit justement par m'ennuyer. Et j'en fais pourtant partie. Je veux dire que je fais partie de ces gens (de cette génération?) qui tiennent ce discours sur la nécessité de l'éclatement de l'offre artistique, sur l'innovation trop peu présente, sur le caractère étouffoir de certaines institutions. Je fais aussi partie de ces gens qui savent s'exprimer, qui pourront présenter le tout avec quelques phrases qui frappent et qui seront peut-être retweetées et citées ailleurs.
Mais cette révolte unie m'ennuie parce qu'il me semble que nous disons tous la même chose. Nous semblons avoir une certaine conception de notre propre place au monde, nous prenons la parole en sous-entendant d'emblée « Ce que je dirai est subversif et n'est pas beaucoup entendu sur la place publique. » Et il est sans doute vrai que ce discours n'est pas, dans l'échelle globale du discours public, un discours très commun. Mais ayons au moins la décence d'admettre que parmi nous, dans nos cercles, il est un discours majoritaire, convenu, unificateur...
Et en constatant l'uniformité de ce discours, je me dis d'abord que je chiale encore pour rien et qu'il est plutôt positif qu'il y ait une certaine unité dans un discours de révolte. Mais n'empêche que, malgré moi, le désarroi et la peur reviennent. Le désarroi d'abord, devant le fait que je sais d'avance ce qu'on me dira en commençant un texte (même si l'art de la formule et le talent de ceux qui les écrivent arrivent encore à me décrocher des sourires). Je ne sais pas comment réagir devant le fait que si peu de discours me surprennent? Sommes-nous rendus plates? Suis-je simplement blasée?
La peur parce que l'uniformité, me semble-t-il, est l'antithèse de ce que demande notre discours de révolte. Et que si nous avons tous les mêmes réponses, ça laisse aussi penser que nous nous posons tous les mêmes questions de la même façon. J'ai bien peur que nous ne soyons pas si subversifs...
C'est plus fort que moi, lorsqu'un discours de révolte tend à s'uniformiser, je n'arrive pas faire taire la crainte qu'il puisse devenir un discours hégémonique demain.
Les commentaires récents