Ce texte n'est ni une réplique, ni une réponse à la touchante chronique de la vie ordinaire de Rima Elkouri. C'est quelque chose comme un rebond.
J'adore les rideaux. Pas pour ce qu'ils cachent, mais pour leur texture. J'ai grandi dans un atelier de couture et ce genre d'héritage, tu as beau croire que ça ne t'intéresse pas, ça t'habite malgré toi. Quand je rentre dans une boutique, je ne regarde pas les vêtements, je les touche. Pareil avec les rideaux.
J'étais récemment dans une maison où on défend aux enfants de toucher aux rideaux. Trop fragiles. C'est comme porter une robe magnifique, mais qui interdirait à quiconque de t'approcher. Ce ne sont plus des rideaux, ce sont des barreaux.
À cause de cette importance du toucher, je ne me sens jamais chez moi lorsqu'il y a du plastique aux fenêtres. Caresser un store, c'est moyen.
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J'habite peu ma chambre. C'est pourtant la plus belle pièce de l'appartement avec son immense baie vitrée qui donne directement dans l'arbre. Peut-être que son vide est trop vide. Peut-être qu'une chambre vide c'est l'ultime rappel d'une intimité condamnée. Condamnée comme dans une porte condamnée, avec des poutres de bois humide pour empêcher quiconque d'entrer.
J'habite peu ma chambre, mais les derniers mois ont été une exception à cause de toutes ces heures que j'ai dû passer couchée. En allant au lit trop tôt pendant cet été magnifique, j'ai découvert la beauté de la lumière lorsqu'elle traverse mon rideau de toile. De longues minutes à suivre les lignes rompues de la trame. Une façon comme une autre de méditer. Un rapport à la matière.
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Je ferme toujours les rideaux quand vient le temps de me déshabiller. Sauf parfois l'été parce que l'arbre à la fenêtre me protège.
L'autre soir, je suis allée marcher pour me consoler de ne pas courir. Je n'avais pas pris la peine d'éteindre et en chemin de retour, j'ai eu un coup au coeur en voyant des lumières chez moi. Je n'aurais pas été étonnée de me surprendre là, dédoublée dans mon quotidien comme dans ce roman de Murakami. Je crois que j'aurais même pu me trouver belle. Il y avait quelque chose d'invitant dans la chaleur de ce chez moi, quelque chose qui me ressemble. Entre calme et vibrant.
Je ne me suis pas vue. Je n'aurais pas pu me voir. Rideau ou non, j'ai compris que personne ne pourrait jamais me voir nue dans cette chambre à moins que je me place de façon ostentatoire à la fenêtre. Mon nid est protégé des regards.
Je suppose qu'il s'agit d'une bonne nouvelle.
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On pourrait penser que j'aime surtout les rideaux pour le plaisir de les ouvrir. C'est qu'on dit que je suis impudique.
Encore récemment, je me suis retrouvée devant une caméra, en train de parler de ma vie sexuelle. C'était presque trop facile. Je me suis pourtant demandé pourquoi j'avais accepté de faire ça. Par respect pour les gens derrière la caméra? Pour les dépanner? Parce que je crois sincèrement qu'il faut dire pour lever les tabous? Par exhibitionnisme, peut-être...
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Quelques heures avant ce tournage, je dînais avec Dany Laferrière croisé, par hasard, dans un congrès. Pendant qu'on parlait de mon premier livre, il m'a dit, sur un ton qui ne blâmait rien: « Vous prendrez goût à faire parler de vous. » Ma réponse, une question rhétorique et ironique: « Vous croyez? » (Il y a des limites, tout de même, à faire du déni par rapport à soi-même.)
J'aime les rideaux, mais je ne les ferme pas beaucoup quand vient la possibilité de me raconter. En même temps, certains auront la décence d'admettre que dans le quotidien, je les écoute... C'est une forme d'équilibre. Dans la présence de l'autre, j'écoute. Dans la solitude, je m'écris. Le danger c'est de densifier sa solitude pour en venir à s'écouter écrire.
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Je cherche souvent à comprendre ce qui distingue exactement mon impudeur de celle des téléréalités.
Peut-être que c'est juste parce que je ne confonds pas sentiment et course de chevaux. Ou alors parce qu'en ouvrant mes rideaux, je transforme mes fenêtres en miroir. En vous mettant le nez dans mes appartements, c'est votre reflet que vous trouvez.
Et en même temps, tout cela est une mise en scène de l'intime. Rideau de théâtre. La vraie pudeur est dans tout ce qui ne se dira pas et qui pourtant se trame au coeur. Au deuxième étage, camouflé par un arbre.
Alors, il n'est plus question de rideaux, mais de boîte noire.
Waou ! Quel beau texte sensible et intelligent !
Rédigé par : Suzanne Paradis | 02/10/2012 à 09:44