La cause est entendue (du moins par ceux que je ne trouve pas drôles): je n'ai pas d'humour. Si on voulait être plus juste, on pourrait dire que je manque parfois de ludisme. C'est vrai aussi avec les mots. Oserais-je vous dire jusqu'à quel point la plupart des jeux de mots me laissent de glace... Même chose avec un certain humour que je vois partout, lis partout, qui tend à traiter les sujets graves par un déphasement qui n'a plus grand-chose de subversif.
J'aime jouer dans l'espace de jeu. Quand j'en sors, les jeux me pèsent.
Je constate un intérêt qui me semble grandissant pour le ludisme de l'écriture. Ça n'a rien de nocif en soi, bien sûr. Jouer avec les mots, quitte à en rire, c'est aussi une façon de les apprivoiser. Mais, tout comme avec les exercices de style, il faut savoir les manier. Et aussi savoir quand s'arrêter.
J'entendais le poète Jonathan Roy lors du lancement de son premier recueil remercier ceux qui l'avaient convaincu de s'éloigner des jeux de mots. Je les ai aussi remerciés intérieurement. Si la poésie est l'endroit idéal pour se jouer du langage, le jeu de mots, dans sa plus simple expression, n'est pas toujours gagnant parce qu'il reste trop souvent en surface. Le slam, d'ailleurs, a parfois ce sérieux problème d'abuser du ludisme des mots quitte à plomber la force des images au profit d'un trait d'esprit.
De la même façon, je lis trop souvent des romans ou des recueils de nouvelles où les exercices de style se lisent encore à gros traits, comme un film qui s'entêterait à nous montrer la mécanique de ses effets. Si les exercices de style font les belles heures des ateliers d'écriture et de certains défis et concours, il n'est pas tout à fait normal que je les sente encore dans un livre. Quand en lisant un chapitre j'ai l'impression de décoder la consigne - par exemple: « Explorer la métaphore de la forêt pour exprimer l'isolement. » - ce n'est pas vraiment bon signe.
Tout cela sert à délier la plume, à jauger l'élasticité du langage, à voir jusqu'où nous pouvons étirer le sens sans qu'il s'effrite. C'est l'équivalent d'aller taper des balles de tennis contre un mur. Ça délie, ça entraîne, ça fait du bien, mais il ne nous viendrait pas à l'esprit d'inviter tout notre monde pour nous regarder faire.
N'est pas Queneau qui veut à pousser l'exercice jusqu'à en faire une oeuvre en soi. Ni Prévert. Ni même, pour rester plus près de nous, Fred Pellerin dont l'invention langagière a une portée poétique.
Ce qui me rassure dans un certain abus de ludisme, c'est qu'il parle d'un intérêt pour la forme du langage et de l'écriture. En soi, c'est déjà positif de s'imaginer que les gens cherchent des façons de dire et pas uniquement des choses à dire. Le problème advient si on sent la recette.
D'abord parce qu'elles peuvent montrer les ficelles au point de nous déconcentrer. Mais aussi parce qu'elles mettent l'accent sur une certaine « virtuosité » (je mets des guillemets importants) davantage que sur un propos. Je parlais de slam plus tôt. Il est parfois frappant d'y entendre des performances impressionnantes en termes d'ingéniosité et de maîtrise du langage, mais qui ne disent rien. Elles se suffisent à elles-mêmes, comme un numéro de jonglerie.
Le défi de la forme en littérature, c'est d'arriver à la réinventer pour dire quelque chose différemment. Il faut mettre en jeu une parole qui surprend, pas nécessairement par son propos, mais par sa façon d'être. Or, une parole, ce n'est pas que l'accumulation de mots...
Quand un jeu autour de la langue surprend... mais ne porte rien d'autre que sa surprise , je décroche. À moins que vous vous appeliez Queneau (ou, peut-être, Alain Farah) et que vous sachiez faire du jeu lui-même un sens.
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