Dans la dernière décennie, il y a eu une explosion d'initiatives pour la jeunesse. Je connais bien les instances qui travaillent à faire fleurir l'engagement des jeunes. Je les ai côtoyées de près. Leur objectif: donner aux jeunes une voix dont on a maintes fois prouvé qu'elle peut avoir du mal à se rendre jusqu'aux oreilles de cercles de pouvoir qui sont entre les mains d'autres générations. Tout cela est primordial.
Pourtant, dans les derniers mois, il m'est apparu qu'on exagère parfois. D'abord, il me semble qu'on devrait cesser de demander à ces jeunes qu'on invite dans tous les événements auxquels je participe de s'exprimer au nom des leurs. On a d'ailleurs cessé de demander aux femmes de s'exprimer au nom « des femmes ». Ce que nous cherchons, c'est à diversifier les points de vue qui s'expriment sur la place publique. Nous souhaitons aussi que différents types de personne aient accès aux lieux de pouvoir. Ce qu'on souhaite, c'est qu'il soit possible que Léo Bureau-Blouin devienne député, pas que Léo Bureau-Blouin devienne député pour représenter « les jeunes ».
Et voilà qu'en invitant des jeunes à parler au nom des jeunes, il arrive trop souvent qu'on leur fasse prendre la parole sur des sujets qu'ils ne connaissent pas particulièrement. Mais ce n'est pas très grave parce qu'on cherche d'eux quelque chose comme un pouls, une impression. Va alors se dire des généralités du type: « Les gens de notre génération accordent beaucoup d'importance à l'environnement. » Oui, oui. Certainement. Et ensuite, les organisateurs se gargariseront en disant que nous avons écouté « les jeunes ». Mais à quoi bon les écouter si c'est pour les laisser tenir des propos généralistes que vous pourriez entendre dans n'importe quel vox pop.
Ma réflexion s'est affinée en réfléchissant à mon propre cas, tout bêtement. Je suis encore jeune dans le sens où l'entendent les institutions. Selon cette définition, la « jeunesse » court de 18 à 35 ans. Hors, jamais, mais jamais, on ne m'a invitée quelque part comme jeune. Ni à 25 ans, ni maintenant. Ce qui me pousse à me demander: mais qu'est-ce qu'un jeune finalement? Est-ce qu'un jeune est quelqu'un qui s'implique dans une organisation jeunesse? Comme une femme serait quelqu'un qui s'implique dans un groupe de femme?
Résultat concret: si on cherche un jeune pour discuter du milieu du livre ou de culture, on ne pensera jamais à moi. On cherche un autre genre de jeune que moi, un jeune comme jeune. Alors je vais me retrouver sur un panel où quelqu'un d'à peu près mon âge va être présenté comme « jeune » tandis que moi je suis une professionnelle, simplement. Et il m'est arrivé que ce jeune invité comme jeune nous présente des informations comme: « Il est certain que les jeunes passent plus de temps devant leur écran et lisent moins. »
Alors pourquoi ne suis-je pas jeune? Parce que j'ai trop réussi? Parce que j'ai un boulot « dans la machine »? Parce que je parais trop vieille, simplement? Parce que je suis déjà bénévole, intégrée dans des conseils d'administration, etc., et qu'un jeune serait, par définition, quelqu'un qui cherche sa place?
Il me semble qu'on a perdu de vue nos objectifs. Ce qu'on souhaite, c'est que les jeunes aient leur place. Pas comme jeune, comme eux. Que les gens qui ont quelque chose à dire sur un sujet X ne soient pas déconsidérés sous prétexte qu'ils sont jeunes. Quand on m'invite à siéger sur un conseil d'administration, on ne me dit jamais « Viens parler au nom des jeunes », mais je suppose que ceux qui me recrutent voient d'un bon oeil d'avoir une jeune femme parmi eux.
Quand je parle, je parle comme personne de ma génération, comme femme, comme Québécoise qui vit à Ottawa. Mais je ne parle jamais au nom d'un de ces groupes-là, même s'ils m'habitent tous.
Je serai toujours pour la diversité des intervenants dans des événements. Mais pourrait-on se réjouir d'avoir des jeunes qui connaissent leurs sujets plutôt que d'inviter des jeunes à parler des jeunes au nom des jeunes. Je n'en peux plus de nous voir nous pâmer juste sur le fait que des jeunes sont là, peu importe la qualité de ce qu'ils apportent au débat, avec cette espèce de paternalisme autosatisfait de son ouverture à la relève
On n'aide personne avec ce genre de mascarade...
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