Je ne parle pas souvent de mon travail sur ce blogue. Par choix, pour éviter de m'emmêler les chapeaux, pour me garder un espace à moi qui ne soit pas teinté par les impératifs de mon quotidien. Je ne voudrais pas que cet espace finisse par se confondre avec une plateforme de promotion des maisons d'édition qui m'embauchent.
N'empêche... Je reviens d'une semaine en Acadie du Nouveau-Brunswick et il est difficile pour moi de ne pas vous en dire plus. J'attendais ce séjour depuis longtemps sans trop savoir ce que j'y cherchais, encore moins ce que j'en espérais. J'y ai trouvé pas mal de choses, mais j'aimerais surtout parler de poésie.
Ce n'est pas innocent: on fête cet automne quarante ans d'édition franco-canadienne et c'est à Moncton, par la poésie, que sont nées les Éditions d'Acadie (malheureusement disparues depuis). Cri de terre, premier livre canadien édité en français à l'extérieur du Québec, le recueil de Raymond Guy Leblanc vient d'être réédité de magnifique façon (photos et archives en prime) par les Éditions Perce-Neige.
Ce qui était frappant, c'est de se retrouver en Acadie, entourée de jeunes poètes. J'ai passé une partie de la semaine avec Gabriel Robichaud et Jonathan Roy dont la parole singulière me suit depuis. Ces jeunes poètes ont comme premières références des poètes de chez eux qui avaient leur âge il y a quarante ans: Raymond Guy Leblanc, bien sûr, mais aussi Gérald Leblanc, Guy Arsenault, Herménégilde Chiasson et d'autres.
*
Dans son magnifique premier recueil qui paraît ces jours-ci, Jonathan Roy écrit « une voix rurale/qui ne pourrait s'écrire/qu'en caractère gras » mais aussi « une voix avec le plus haut taux d'analphabétisme au pays/une voix fers à chevals/avec un s sans l'accord de personne ». Poésie inscrite dans la géographie, on y retrouve Moncton, Miscou et on y devine plusieurs autres lieux encore: « à dos d'étoile/l'acadie c'est tout petit/et ça brule les cuisses ». Cette strophe m'avait déjà fait sourire avant même d'avoir entendu un inédit de Gabriel Robichaud qui semble lui répondre: « Je suis beaucoup plus qu'un accent/J'ai l'Acadie dans les balls/Et ça bouille ». Définitivement, il y a quelque chose qui brûle dans toute cette histoire. Dans le bas du corps.
*
Parfait hasard, mais j'étais dans mon lit à Caraquet quand Belle et Bum recevait Radio Radio samedi dernier. D'emblée, dans la présentation, Geneviève Borne insiste sur « leur bel accent ». Comme si on ne tournait pas les yeux au ciel chaque fois qu'un Français nous fait le goût. Tant qu'à parler de boulot, allons-y. C'est ce qui me frappe le plus depuis que je suis dans la francophonie canadienne: tout ce que le Québec fait vivre à ceux qui l'entourent et qui est une platte copie de ce que le Québec vit en France. Étonnant parfois, notre incapacité à nous voir aller.
*
Je ne pensais pas écrire là-dessus aujourd'hui. C'est mon travail de jour, ça m'occupe l'esprit bien plus que 35 heures par semaine. J'évite de mélanger les mondes même si mes mondes se chevauchent de si près. Je ne pensais pas parler de ça, mais c'est vrai que je n'en peux plus moi non plus d'entendre parler de leur(s) accent(s) et de leur folklore. Ils sont tellement modernes. Et pas d'hier... En relisant Cri de terre, on s'en souvient.
C'est en finissant le recueil que je me suis décidée à vous écrire ceci. Mais c'est surtout un prétexte pour vous faire lire ou relire ce qui suit. Je sais que Raymond Guy n'aime pas trop qu'on insiste sur cet épilogue qui l'a poursuivi longtemps. Mais c'est trop actuel et trop encore incompris pour qu'on n'insiste pas un peu plus fort.
Je suis Acadien
Je jure en anglais tous mes goddams de bâtard
Et souvent les fuck it me remontent à la gorge
Avec des Jesus-Christ projetés contre le windshield
Saignant medium-rareSi au moins j'avais quelques tabernacles à douze étages
Et des hosties toastées
Je saurais que je suis Québécois
Et que je sais me moquer des cathédrales de la peur
Je suis Acadien je me contente d'imiter le parvenu
Avec son Chrysler shiné et sa photo dans les journauxCombien de jours me faudra-t-il encore
Avant que c'te guy icitte me run over
Quand je cross la street pour me crosser dans la chambre
Et qu'on m'enterre enfin dans un cimetière
Comme tous les autres
Au chant de « Tu retourneras en poussière »
Et puis Marde
Qui dit que l'on ne l'est pas déjàJe suis Acadien
Ce qui signifie
Multiplié fourré dispersé acheté aliéné vendu révolté
Homme déchiré vers l'avenir
_____________________
L'éditeur utilise la nouvelle orthographe, j'ai respecté son choix.
Raymond Guy Leblanc, Gabriel Robichaud et Jonathan Roy publient aux Éditions Perce-Neige. Vous pouvez commander leurs livres dans votre librairie ou ici. (Ça, c'était le bout infopub...)
Merci pour ce billet ; pour toute cette poésie, aussi.
J'ai grandi en Acadie (avec des parents québécois) & depuis que j'habite au Québec que j'éprouve comme un grand malaise face à, je sais pas, toute la tendresse passagère & infantilisante qui vient avec le eh qu'ils ont dont un bel accent...!.
Rédigé par : Amélie | 09/10/2012 à 14:01
"Tendresse passagère et infantilisante". Très beau ça...
Rédigé par : Catherine | 09/10/2012 à 14:02
Bravo pour le billet! Et c'est tellement vrai que les Québécois font aux Acadiens ce que les Français font aux Québécois... et les Acadiens les haïssent de la même manière !
Je me rappelle de Biz qui faisait la leçon à Pascale Bussières, actrice dans Belle Baie, sur le plateau de Tout le monde en parle, en disant que Belle Baie ne reflétait pas l'Acadie parce que les Acadiens parlaient chiac! Ç'a m'avait choqué. Il n'y a pas un accent, mais DES accents acadiens. La plupart des Acadiens ne parlent pas chiac. Ma ville natale aurait même un accent «français» ou «radiophonique». C'est dire! Mais bien sûr Biz savait mieux que les Acadiens ou Pascale Buissières ce qu'était l'Acadie! Malheureusement, Québécois typique...
Mais sur une note plus positive, je suis content de voir que toi aussi tu trouves l'Acadie autant inspirée et inspirante ! Ça donne le goût d'y revenir...
Rédigé par : Frédéric Chiasson | 10/10/2012 à 17:26