En début de semaine, j'écrivais sur ce discours de révolte qui me semble uniforme et sur le fait que bien peu de prises de parole me surprennent. Ça ne veut pas dire que je n'y prends pas plaisir. Il est toujours touchant, troublant, gratifiant de se reconnaître dans la pensée et dans les mots des autres. Mais comme je lis beaucoup, je dois quand même constater qu'on vient rarement me rejoindre dans des zones moins explorées de ma pensée, de mes contradictions, de mes sentiments.
Ce que je cherche, ce n'est pas un discours qui contredirait mes convictions (ça, il y en a plein). Je cherche plutôt des couleurs complémentaires.
Michel Vézina m'en a servies vendredi dernier au Festival international de littérature lorsqu'il a lu un texte coup-de-poing (et courageux) d'abord paru dans l'ouvrage collectif Les bruits du monde (chez Mémoire d'encrier).
C'était une soirée riche. La plupart des textes m'ont touchée. J'ai même eu les yeux humides quand Laure Morali et Frantz Benjamin ont chanté une comptine créole. Mais c'est Michel Vézina qui m'a vraiment secouée émotivement et intellectuellement. Il m'a surtout secouée parce qu'il est arrivé là où je ne l'attendais pas.
Dans ce texte, l'auteur répète sur un ton qui a quelque chose de sardonique et de douloureux à la fois: «Vous me faites pleurer/Tshitutunau tshetshi Maian». Il s'élève contre le discours identitaire des «peuples fondateurs». Il s'élève surtout contre un discours identitaire figé qui se pose comme une référence ultime pour la collectivité. J'ai beaucoup pensé pendant cette lecture aux promoteurs conservateurs d'une certaine identité québécoise. «Vous voilà, charognards des pages d'une histoire écrite par des colons devenus colonisés.» Ces gens perclus dans la peur de se perdre, Michel Vézina leur dit qu'ils sont sans doute déjà perdus. Parce qu'ils ont perdu (s'ils l'ont déjà eu) le rapport à leur territoire. «Combien de vous, ici ce soir, sont vraiment chez eux? Combien connaissent cette terre et ces exigences? Combien de mots avez-vous pour désigner la neige?»
Pour être honnête, je ne suis même pas tout à fait d'accord. Bien que je partage plusieurs des malaises de l'auteur, je ne suis pas très touchée par ce discours sur l'attachement au territoire. Pour moi l'identité est un phénomène profondément intérieur qui peut se vivre sur d'autres niveaux que celui de l'habitat et de l'environnement physique. Cela dit, Michel Vézina a raison, je connais mal cette terre. Je ne crois pas que ça affecte nécessairement mon identité, mais j'ai au moins la décence de ne pas m'en réclamer.
D'autres (plusieurs autres...) qui ne connaissent pas plus cette terre que moi s'en réclameront pourtant en faisant valoir de vaseuses théories historiques et d'occupation du territoire. Ces théories sont un cul-de-sac, parce qu'elles ouvrent la porte à des débats stériles pour connaître quel moment historique fondateur est le plus légitime. Ce sont des batailles de propriétaires.
Tout ça pour dire, finalement, qu'il ne s'agit même pas d'être d'accord. Michel Vézina m'a atteinte en profondeur parce qu'il m'a étonnée. Dans le discours actuel qui tend à polariser toujours davantage les positions, Michel Vézina nous rappelle qu'il y a d'autres coins (dont un coin autochtone) à l'histoire. Que «Nous vs Eux» ne mène nulle part.
Le discours identitaire a le dos très large parfois. J'avoue que quand je lis sur les médias sociaux que le parti Libéral et la CAQ prennent des décisions sans penser aux Québécois, il me semble qu'on sous-entend quand même qu'il y aurait une position idéologique plus québécoise qu'une autre. Cette bizarre équation entre l'axe gauche/droite et la question nationale qui en pousse certains à défendre l'idée qu'être de droite n'est pas québécois me laisse un peu sans voix. Devant ce genre d'abus de langage, plusieurs applaudissent et ne semblent pas voir tout ce qu'il y a de tendancieux à vouloir additionner identité et posture idéologique.
Le texte de Michel Vézina est venu me toucher exactement là, dans cette conviction qu'une identité ce n'est pas fixe, ce n'est pas dans un slogan, ça ne demande pas une carte de membre. Ce texte brasse la cage de l'intérieur. Il n'est pas en contradiction, il est juste ailleurs.
Ce texte m'a fait l'effet d'une tache de couleur complémentaire au milieu d'une révolte qui a parfois le teint uni.
Y a-t-il vraiment tant de gens qui défendent "l'idée qu'être de droite n'est pas québécois"? Je manque sûrement de recul, mais il me semble que ce n'est pas une idée répandue.
Rédigé par : Sylvie Dupont | 27/09/2012 à 10:21
Je ne dirais pas "tant de gens" et j'oserais même que les gens qui disent ça ne sont pas conscients de ce qu'ils disent. Ça n'excuse rien à mon sens. C'est un discours identitaire exclusif qui ne voit pas son aspect tendancieux. N'en déplaise aux progressistes (dont je suis, dois-je le préciser), ce ne sont ni des Ontariens, ni juste des mafieux, qui ont voté pour le PLQ et la CAQ. Ce sont des Québécois.
C'est un autre glissement de langage qui fait que "Les Québécois sont plus progressistes" devient "Les Québécois SONT progressistes" et finalement "Quelqu'un qui ne vote pas progressiste n'est pas vraiment Québécois".
C'est finalement le même glissement de langage que "Les hommes ont plus d'aventures extra-conjuguales" à "Les hommes SONT infidèles" à "Un vrai homme a des tendances infidèles parce qu'il est un chasseur." (On pourrait donner plein d'autres exemples.)
Rédigé par : Catherine | 27/09/2012 à 12:02