Si les sondeurs ne sont pas tous tombés sur la tête, il y a fort à parier que c'est aujourd'hui que le Québec se libérera des Libéraux. Ça aura pris près de dix ans après la sortie de la chanson des Loco Locass. Bien que la pièce ait toujours su trouver son enthousiaste public, elle ne nous fera pas conclure que la chanson a une bien grande influence sur la chose politique...
La chanson a été remise à la mode au printemps 2012. J'ai moi aussi écouté en boucle Libérez-nous des Libéraux depuis quelque temps. Bien que je ne suis pas une grande fan des Loco Locass, je ne nierai jamais la maîtrise de la langue et la culture dont ils font preuve. J'aime bien cette chanson accrocheuse et elle m'accompagne souvent depuis les derniers mois.
Rappelons-nous, pour le contexte, qu'en 2003, la chanson espérait nous libérer des Libéraux provinciaux, mais aussi fédéraux. Plus que la libération d'un parti, il s'agit en fait d'une libération d'une mentalité qui freine l'accès à l'indépendance pour le Québec. (Est-il besoin de rappeler que les Loco Locass sont des souverainistes militants? C'est d'ailleurs par ce biais qu'ils expliquent leurs relations de proximité avec l'empire Québécor. Mais passons...)
Je voulais surtout attirer votre attention sur un aspect du texte qui ne m'avait jamais frappée jusqu'à maintenant et que je trouve pourtant révélateur d'une tendance assez générale dans le discours militant. En effet, pourquoi cette chanson présente-t-elle l'indépendance comme une conséquence (ou un gage?) de virilité?
Si quelque part au milieu de la pièce il est dit que la « clef du succès pour le 24 Sussex c'est d'asexuer le Québec », l'allusion est encore plus claire en fin de parcours avec le fameux vers « Ça fait qu’émasculé, pis enculé, le calcul est pas compliqué : on va r’culer. » Dans cet extrait, les gouvernements libéraux québécois et fédéral sont présentés comme les deux lames d'un ciseau qui tentent de déraciner la fleur de lys. Le Québec est donc violemment pris en sandwich, pourrait-on dire (émasculé et enculé).
Soyons clair, il ne me viendrait pas à l'esprit de dire que les gars de Loco Locass ont voulu tenir des propos sexistes. C'est plutôt ça qui est intéressant dans ce cas de figure: des gens tout à fait conscients du poids des mots et des valeurs qu'ils véhiculent sous-entendent dans leur plus grand succès de tous les temps que la nation est fondamentalement masculine (il le faut bien puisque les adversaires l'émasculent). C'est donc dire que des gens foncièrement progressistes écrivent, relisent, publient, chantent une idée stéréotypée sans qu'une lumière DANGER s'allume.
Il est toujours fascinant de constater que des associations d'idées inconscientes nous mènent parfois à reproduire des stéréotypes sans que nous nous arrêtions pour y réfléchir. J'ai déjà écrit ailleurs que nos discours sur la virilité prennent souvent des détours vaguement homophobes sans même qu'on s'en rende compte. C'est une pente glissante dont on ne mesure pas les conséquences. N'empêche que l'utilisation du terme « enculé », n'est pas tout à fait anodine. L'image de « l'enculé » est associée à la passivité, ce qui n'est pas très viril, comme chacun le sait. Alors si tu es émasculé en plus... Ben, je pense que ton chien est mort au chapitre de la virilité.
L'exemple de la chanson des Loco Locass est finalement anecdotique, mais me semble révélateur de la persistance d'un discours qui associe la prise en mains de sa destinée, la révolution ou la force politique à des attributs masculins. Notre idée de l'action, de la liberté, est encore ancrée dans une image de force et de virilité. Pourtant, peu de gens oseraient encore associer directement la passivité au féminin. Mais sur des questions binaires comme le couple masculin/féminin, la partie laissée dans l'ombre est aussi significative que celle qui est nommée. Si une nation privée de sa liberté est « émasculée », c'est qu'on sous-entend que c'est par ses qualités « masculines » qu'elle pourrait s'affirmer.
Si la tendance se maintient, le Québec sera ce soir libéré des Libéraux. Ça lui donnera peut-être un peu d'espace mental et d'énergie pour continuer sa lutte aux stéréotypes, y compris dans ses rangs progressistes.
Ça s'appelle tout de même du sexisme, mais inconscient, intégré. Le sexisme "ordinaire", quoi, que peu de gens remarquent.
Rédigé par : Micheline Carrier | 04/09/2012 à 11:54
Vous avez raison. La meilleure preuve c'est que ça m'aura pris neuf ans avant que ce vers de la chanson me marque... Parce qu'il est inconscient, intégré, vu comme "normal", c'est en cela qu'il fait le plus peur. Ce long chemin de l'émancipation...
Rédigé par : Catherine | 04/09/2012 à 11:57
Votre texte me rappelle cette chronique de Léa Clermont-Dion parue dans La gazette des femmes.
http://www.gazettedesfemmes.ca/6237/femmes-de-greve/
Le pouvoir comme on le vit encore aujourd'hui est une valeur patriarcale, visant donc la soumission de l'ennemi (Charest, le ROC) plutôt que la libération pure et simple, l'émancipation.
Rédigé par : Caroline | 04/09/2012 à 12:43
Je ne connaissais pas ce texte de Léa. Merci!
Rédigé par : Catherine | 04/09/2012 à 13:31
Ah comme je l'attendais cette critique de Loco Locass. Je leur reconnais les mêmes qualités que toi, point de vue du maniement de la langue et etc.
Un autre couplet attire mon attention et me trouble dans la chanson RÉsistance
"Un pays sans enfants, sans nouveau sang, c'est sans bon sens
On fait pu d'flot mais y nous en faut pour tenir le ratio à flot
D'autant que les p’tit gars qu'on a trippent sur l’trépas à c’point-là
Qu'y se sonnent eux-mêmes le glas pour l'au-delà
Pis ça c’est pas du bla-bla, tu me trouves acides le kid ?
J'essaie juste d'être lucide
Parce que spermicide ou suicide, dans les 2 cas pour nous c'est l'autogénocide
Faque décide ou décède, chaque pouce d'identité que tu cèdes
Nous mène humiliés poings et pieds liés à la fatale fat assimilation"
J'y vois, non seulement une crainte de tout ce qui à trait à l'immigration (ratio des blancs québécois?) mais aussi une drôle de petite tournure qui ne fait pas exactement la promotion de la contraception....
Finalement, a les voir avec leur chanson "bouge ton cul" dédiée aux filles qui ont su faire preuve de tant de courage en affrontant la police au printemps dernier (voir - agire comme des vrais hommes), ils devraient repenser leur nationalisme et leur engagement pour quelque chose d'un tant soi peu inclusif....
Rédigé par : M.v | 05/09/2012 à 12:00