Moraliser l'opiomane, c'est dire à Tristan: « Tuez Yseult. Vous irez beaucoup mieux après. »
Jean Cocteau, Opium
Ç'a commencé par une inextinguible fatigue. Le verdict est devenu incontournable après une nuit d'un sommeil superficiel où les élections hantaient des rêves absurdes dans lesquels je tentais de résoudre des problèmes dignes d'un conte de Lewis Carrol. Plus de doute possible: surchauffe cérébrale.
Pendant que j'attendais les résultats médicaux qui expliqueraient mon sentiment d'avoir le cerveau colonisé par des moisissures, il a bien fallu ralentir. Difficile d'échapper les médias sociaux dans l'équation. Twitter surtout, qui ne donne pas sa place en matière d'occupation de l'espace mental. De bruit ambiant.
Je n'ai pas voulu annoncer que je quittais tout, en faire une cérémonie. Je savais trop que ça ne durerait pas. Un matin, j'ai simplement laissé Tweetdeck fermé. J'ai continué à émettre un peu, mais plus de consultation frénétique du fil de nouvelles.
En quelques jours, j'étais déjà reposée. Évidemment, derrière la fatigue il y avait une grosse déprime. Alors j'ai fait ce que font les lucides en désintoxication.
J'ai observé le manque.
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(Avertissement: il y a aura les mots influence et branding dans ce segment.)
Dans les premiers jours, le manque principal était en fait une peur. Celle qu'on m'oublie. Twitter a un peu changé ma vie en faisant éclater mon réseau d'influences, en me mettant sur certains radars. Mais ce sont des radars bien sensibles. S'il fallait que je continue avec ma présence allégée (évitant les twivages, les tweetfights, les commentaires, les revues de presse), rapidement je n'existerais plus dans cet univers qui se dope à l'éphémère. Mon « branding » pourrait être mort d'ici deux mois si je maintiens le régime minceur. Et ça, très sérieusement, ça m'angoisse.
Twitter est une bête qu'il faut nourrir. Et dont la faim grandit quand on la nourrit. Mais si t'es fatiguée, si t'as le bras mort, elle ne viendra pas vers toi. Elle ira se nourrir ailleurs. Elle me l'a prouvé dans le dernier mois.
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Ensuite, j'ai bien dû constater l'autre manque: la présence. Elle est bien dense, ma solitude. J'ai passé de nombreuses minutes à inventer des tweets que je n'envoyais pas. À qui partager le moment ridicule que tu vis seule? (T'sé la fois que tu t'es fait livrer une télé qui doit bien peser huit livres...)
J'ai pensé que ce n'était pas si faux que les médias sociaux tuent tout ce qu'il y a de vrai. Parce que quand je ferme l'ordi, je n'ai personne à qui parler dans l'appartement. Parce que faire rire des inconnus - et en faire fâcher d'autres - c'est du présentiel (disons cela ainsi). Ça me donne l'impression d'avoir une vie. J'appelle vie, ici, tout ce qui se passe en surface: le bavardage, les potins, les clins d'oeil. Ce qui permet de pouvoir dire « Sais-tu ce qu'il/elle m'a dit!?!? » avec toute l'emphase des ponctuations multipliées.
J'ai pensé que tout ça fait de moi une carencée. (Avant de penser qu'il me serait trop long d'énumérer tous les autres symptômes de carences qu'il m'arrive d'observer chez les gens dans la rue, dans les bars, dans les épiceries, etc.)
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Me voilà reposée, soignée, à peu près de retour dans mon cerveau normal. Je n'ai pas réussi à être vraiment partie et pourtant Twitter me manque. Vous me manquez. Je ne sais pas comment revenir et donner dans l'équilibre. Je suis un peu totale comme fille...
Me voilà reposée et je dois bien constater que la densité de ma solitude ne se résume pas aux médias sociaux. Je n'ai pas quitté le 2.0 pour investir les relations de chair et d'os. J'étais trop fatiguée pour ça aussi. Je n'ai pas beaucoup téléphoné ou placé des invitations. On me l'a bien rendu.
La vie sociale est une bête qu'il faut nourrir. Et dont la faim grandit quand on la nourrit. Mais si t'es fatiguée, si t'as le bras mort, elle ne viendra pas vers toi. Elle ira se nourrir ailleurs. Elle aussi me l'a prouvé dans le dernier mois.
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J'ai souvent cru être une étoile solitaire, un corps céleste qui ne peut compter sur aucune gravité, qui pédale pour faire sa propre circonvolution, émettre sa propre lumière. Est-ce la définition d'une leader? Si je n'amorce pas le mouvement, il n'y a pas de mouvement. Quand les moteurs s'échauffent, je vacille et je dérive. Je m'efface.
Je croyais avoir besoin d'une désintox 2.0, j'avais peut-être juste besoin d'un arrêt sur image. De me regarder flotter, en périphérie. De constater, avec une certaine distance, ce qu'est ma vie (en surface comme en profondeur).
Les médias sociaux ne sont pas si différents de la « vraie vie ». J'ai bien peur que nous y recréions les mêmes schémas qui sont nés ailleurs. Sur le web, dans les bars, dans la rue, dans vos maisons, ça se résume platement à
des gens
des angoisses
des méthodes de contournement.
J'espère que ça va mieux! Une bête ça se nourrit mais ça s'apprivoise aussi...Il y a toujours des limites mais un bel équilibre peut être créé.
Une être humaine en quête d'équilibre!
Rédigé par : Nadine | 20/09/2012 à 13:00
Merci! Ça va mieux oui. Encore bien fatiguée, mais mieux!
Rédigé par : Catherine | 20/09/2012 à 15:10
Vos tweets m'ont manqué. Merci pour ce partage. Je réfléchis aussi à mon attitude dans les "2" vies. ; )
Rédigé par : Suzanne Paradis | 20/09/2012 à 15:24
En sortant du lit,j'ouvre mon ordinateur je vais voir si Catherine Voyer Léger a écrit sur son blogue de nouvel réflexion,j'y passe environ une heure,je cherche aussi vos dernier commentaires sur twitter. Dernièrement j'ai visité votre page Facebook survolé les photos de votre vie,je vous dit merci pour cette belle générosité naturel.
Rédigé par : Buckeven | 21/09/2012 à 08:49