Si on veut utiliser un seul sens des mots, on essaie d'entrer en sciences.
Hugues Corriveau
Hugues Corriveau me parlait du rôle de la poésie lorsqu'il m'a dit cette phrase qui m'habite depuis juin dernier. En ce jour anniversaire, j'ai le sentiment qu'elle parle aussi de mon parcours.
J'ai 33 ans. Parfois je trouve que c'est vieux. Pour n'avoir jamais été en amour. Pour n'avoir pas d'enfants et pas vraiment de chemin vers où en bâtir. Pour être aussi endettée. Pour me sentir encore si ado dans tous les indicibles détours. Pour n'avoir pas su me décrasser les artères d'un fond de romantisme cucul malgré des années à entretenir le cynisme. Pour n'avoir pas encore publié un livre quand on sait que j'y pense depuis tout le temps. C'est vieux.
Mais la plupart du temps, je me dis que c'est jeune. Pour avoir un presque doctorat. Pour avoir pris le temps de faire un cours en massothérapie! Pour avoir un poste de cadre. Pour avoir pas mal voyagé. Pour développer des douleurs qui me semblent appartenir à un autre âge. Pour avoir enseigné à tant de gens que je vois éclairer le monde de leur intelligence. Pour trouver le temps, le souffle, les racines pour écrire autant. Pour publier enfin. Bientôt. Demain. C'est jeune.
Cette année sera celle du premier bouquin je pense bien. 33 ans, finalement, c'est un bel âge pour arriver là. Est-ce que j'ai des attentes? Pas vraiment. Je connais trop le milieu de l'intérieur pour me permettre ça. En même temps, il reste ces artères encrassées de romantisme cucul qui te réveillent parfois la nuit en te soufflant que ce sera l'année de la consécration. Même si tu ne sais pas trop à quoi tu voudrais qu'on te consacre tant que ça...
C'est peut-être le paradoxe du romantisme: entretenir toutes ces attentes muettes sans pour autant savoir très bien où on voudrait qu'elles débouchent. Ailleurs, seulement. C'est une position d'insatisfaite chronique. À côté de ce sentiment d'être vieille et jeune à la fois, il y a celui d'être une réussite et un échec. Dans le même souffle.
J'en reviens à cette citation d'Hugues Corriveau qui m'habite. Il est difficile de savoir ce qui accroche une enfant à l'univers des livres. Mais il est clair que si j'écris aujourd'hui, c'est d'abord parce que le mot me préoccupe. À partir du moment où j'ai adhéré sans compromis à l'idée que le langage n'est pas le reflet du réel, mais l'une de ses constituantes, le mot a pris une place centrale dans ma vie.
Si j'ai toujours voulu publier et que ça m'aura pris toutes ces années, c'est que je suis prise entre la précision du mot-science et les possibilités du mot-poète. Quand j'ai décidé de ne pas aller étudier en Lettres au cégep, c'était pour entrer en sciences. Les sciences qui m'intéressent ont beau être molles, elles sont quand même préoccupées par la recherche du sens unique et précis d'un concept.
Pendant ces années, je me posais toujours la même question: pourquoi je n'arrive pas à écrire beau quand je fais de la science? Dans le carcan scolaire, je pondais des textes d'étudiante modèle, mais sans poésie. Comme si l'idée du mot juste castrait ce qui en moi relève du rythme et de l'élévation.
En abandonnant mes études doctorales après le décès de mon directeur (qui lui savait faire analyse et poésie dans la même phrase), j'ai tout largué. Je n'ai plus lu les journaux, je n'ai plus pensé théorie. Je me suis plongée dans les romans et la poésie et j'ai recommencé à écrire de l'émotion. Mais ce n'était pas ça non plus. Pas vraiment en tout cas. Je n'y arrivais pas. C'était beau, parfois, mais ça n'avait pas de direction. Pas de sillage.
Et puis est venu ce que vous lisez présentement. Oh! loin de moi l'idée de dire que c'est parfait, mais ça n'a jamais sonné aussi juste. Comme si j'avais trouvé le bon format où je peux peser les mots analytiques et, en même temps, trouver le souffle qui permet aux phrases de swinger juste assez. Mon but: vous faire réfléchir. Que mes mots, parce qu'ils seront précis et inspirants, vous rentrent dans la pensée comme des échardes qui feraient lever des peaux mortes.
Quand j'écris ici j'ai le sentiment d'être au bon endroit et au bon moment. Intègre. Moi. Tout à fait. Paradoxale et incomplète, mais mesurée et réfléchie. Parfois insupportable et obsessive, mais sincère et dans le partage.
Ni trop tôt, ni trop tard. À 33 ans.
Il ne faut pas se délester entièrement de son romantisme. ça garde jeune...
Joyeuse fête!
Rédigé par : Andrée Poulin | 28/08/2012 à 13:29
Merci Andrée. Je viens de prendre ton petit dernier dans mes mains... Tout beau tout chaud. :)
Rédigé par : Catherine | 28/08/2012 à 13:30