La langue de bois est maintenant un personnage à part entière de la vie publique. Elle s'invite généralement pour être reniée dans la minute. La phrase préférée de tout un chacun: « Je refuse de parler la langue de bois! » Le problème, c'est que cette phrase est en elle-même un bel exemple de langue de bois...
Si plusieurs font l'amalgame entre langue de bois et rectitude politique, il me semble qu'il ne s'agit pas tout à fait de la même chose (même si elles peuvent se retrouver au même endroit). Cet amalgame pose d'autant plus problème que l'idée de rectitude politique est souvent vidée de son sens parce qu'utilisée à des fins idéologiques. Ainsi, pour une certaine droite très loquace, tous ceux qui pensent à gauche le font par rectitude politique. Allez donc défendre les syndicats, on vous accusera de langue de bois et de rectitude politique dans le même souffle.
À mon avis, la langue de bois se caractérise par son vide. C'est un langage qui n'est pas incarné. Comme du bois mort, cordé. Un langage sans racines.
D'une certaine façon, la langue de bois est au discours public ce que le bavardage est au discours privé. Tout comme le bavardage crée du lien autour de fils très ténus, la langue de bois tente de créer du sens autour de concepts mal définis. Sa principale caractéristique est de présenter des idées concises et générales en tenant pour acquis que tout le monde sait exactement de quoi on parle. Mais c'est rarement le cas.
Ainsi, quand je dis « J'arrête au dépanneur acheter du lait et du pain. », il est peu probable que j'aie besoin de développer mon idée pour expliquer ce que j'entends par dépanneur, par acheter, par lait ou par pain. Mais qu'arrive-t-il lorsque, dans une conversation, il se dit quelque chose comme: « Si les gens avaient plus confiance en eux, on en serait pas là! » Il n'est probablement pas précisé qui sont les gens, de quelle confiance on parle et où sommes nous exactement (ce lieu où ne ne voulons sans doute pas être puisque c'est la faute des gens si nous y sommes). Pourtant, il y a fort à parier que les gens acquiesceront, puisque même si l'idée n'est pas très claire, elle rejoint un sentiment assez flou et largement partagé.
Au plan politique, la langue de bois fonctionne de la même façon en traitant les concepts comme s'ils avaient toujours des référents très précis et en tenant pour acquis que le public sait de quoi on parle. Un certain public est d'ailleurs sensible à ce sentiment qu'on lui donne de comprendre rapidement. Pourtant, le langage sociopolitique mérite qu'on s'attarde à le préciser pour s'assurer que nous parlons de la même chose dans l'espace public. Ainsi, quand François Legault parle des autres partis qui ont « les mains attachées par les syndicats », il serait intéressant de savoir de quels syndicats il parle et de quelle façon exactement ceux-ci attachent les mains des partis (par le financement, par la base de vote, par le lobby?). M. Legault en parle comme si cela allait de soi, mais c'est loin d'être le cas. Avoir plus de détails nous permettrait de mesurer comment son parti pourrait éviter de se faire ainsi attacher les mains (puisqu'on comprend que ce n'est pas souhaitable).
Si je donne l'exemple de M. Legault, ce n'est pas parce qu'il est le seul à donner dans la langue de bois, mais bien parce qu'il est celui qui s'en défend le plus souvent. En cela, il ressemble à tous ceux qui réfèrent au gros bon sens et qui crachent sur tout discours différent du leur sous prétexte de langue de bois. Pourtant, le recours au gros bon sens oblitère généralement la complexité des phénomènes et est le meilleur point de départ pour se prendre une volée de bois vert.
On ne combat pas la langue de bois en évoquant son spectre à tout propos. Le seul moyen de la contrer c'est d'utiliser les mots avec intelligence, de comprendre et de peser leur sens, de leur faire pousser des racines dans des argumentaires cohérents. Une idée politique, si elle peut tout à fait s'énoncer clairement en 140 caractères, n'a de sens que dans la relation qu'elle entretient avec l'ensemble d'une pensée.
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