En entendant le journaliste Jean-Philippe Cipriani signer son premier billet humoristique à l'émission de la Première chaîne La soirée est (encore) jeune je me suis demandé s'il était normal, souhaitable, voire recommandable que les journalistes se prêtent à des exercices humoristiques de ce type. Il ne s'agit pas de faire le procès de qui que ce soit, plutôt une occasion de s'interroger sur le mélange des genres.
On a beaucoup jasé de cette question autour d'émissions comme Infoman, mais aussi comme Tout le monde en parle. J'avais vivement critiqué Infoman à l'époque où il était allé fêter la fin de l'année au Liban, nous servant un entretien assez tendancieux avec un député du Hezbollah. Je suis toujours ambivalente quant à ce genre d'émissions. Je les apprécie, mais je ne peux pas nier qu'elles induisent un glissement de discours, entre autres quand les politiciens sont à l'honneur. N'empêche que si on s'interroge sur les dérives des « entertainers » qui jouent sur le terrain des journalistes, difficile de ne pas regarder la question de l'autre bout de la lorgnette.
Je ne suis pas une spécialiste de l'humour, mais chaque fois que je tente d'écrire un texte caustique ou sarcastique, je réalise l'attrait soudain des clichés et des raccourcis. Me pliant récemment à cet exercice pour un projet qui verra bientôt le jour, je réalisais la difficulté de pondre un texte qui serait aussi nuancé que je le souhaite tout en réussissant à faire sourire. Même jaune. Pas facile! C'est souvent le gros (si ce n'est le grossier) qui fait rire. Quelqu'un qui aime les punchs vous dira comme il est parfois crève-coeur d'en laisser passer un excellent parce qu'il débouche sur d'outrancières simplifications. Est-ce donc le rôle d'un journaliste de se moquer du manque de leadership d'un député (sachant que la forme humoristique ne nous pousse pas à la mise en contexte) ou de chercher l'angle comique des dossiers comme la corruption ou l'exportation de l'amiante?
Y a-t-il un danger pour un journaliste à se prêter à ce type d'exercice? Est-ce que l'effet recherché finit par gommer la nécessité de la précision de l'acte journalistique? Un journaliste risque-t-il de nuire à son image auprès des milieux avec lesquels il travaille?
Je me suis même posé la question pour les critiques. Récemment, un internaute m'a suggéré la lecture d'un texte paru dans le Telegraph qui reproche aux critiques de cinéma d'être trop préoccupés par l'effet que leurs textes produisent. Résultat: une tendance à choisir l'exercice de style qui vise à tourner en ridicule un film nul plutôt que de consacrer son espace à déterrer des films qui n'obtiennent pas toujours l'attention qu'ils mériteraient.
Ça nous ramène à Infoman: que penser d'un exercice comme les Aurores? Me voilà encore une fois bien ambivalente. J'adore cette émission spéciale, je me bidonne chaque année. Et pourtant, est-ce que cette espèce de cirque qui vise à tourner en ridicule nos plus grands navets est la place de critiques de cinéma? Le choix du mot cirque n'est pas anodin. Nous rêvons tous de plus de plateformes pour parler de culture au petit écran, je milite ardemment pour le retour des critiques à la télévision. Au final, je les vois surtout une fois par année, et pour parler de ce qu'ils n'ont pas aimé. Et même pas dans un esprit analytique, mais tout à fait dans un esprit anecdotique et burlesque: la scène ridicule, l'objet ridicule, le pire rôle d'une carrière, etc. On pourrait assez sérieusement se demander ce qu'un critique gagne à participer à ce genre d'exercices (sinon, tout comme nous, un grand moment de bidonnage).
Il ne s'agit donc pas autant de s'interroger sur l'objectivité - dont on répète assez qu'elle est un mythe - mais bien sur la nuance, l'analyse, la mesure, éventuellement la distance, qui doivent habituellement caractériser l'acte journalistique et qui ne sont pas les ingrédients préférés de l'humour. Il y a une tension entre une part de moi qui trouve tout cela bien drôle. Et celle qui trouve la pente glissante...
C'est un bon questionnement. Je comprends un peu le malaise lorsqu'on voit un politicien jouer le jeu d'Infoman. Mais il serait bien fou de se passer de cette visibilité qui, bien souvent, l'avantage.
Mais Infoman est aussi capable d'être critique, il ne faut pas l'oublier. On écorche tant Charest que les autres. L'émission est beaucoup plus du divertissement que de l'information, évidemment. Reste que j'apprends souvent bien des choses quand je regarde l'émission. Des affaires pas toujours super pertinentes, mais elles me font bien sourire. En fait, moi, si l'émission est bonne, peu importe le contenu, je n'ai pas trop de problème.
Au téléspectateur et citoyen de faire la part des choses.
Quant à la participation du journaliste, il fait du bien parfois de les voir dans un contexte moins sérieux. Surtout Odile Tremblay. Des émissions comme La soirée est (encore) jeune ou Infoman sont de bons exemples de mélanges des genres qui réussissent à la fois à être drôle et informatif. L'un n'exclut pas l'autre.
J'aurais plus un malaise à voir des politiciens seulement se prêter au jeu d'émission de divertissement (Infoman et les talk-show) et éviter les vraies émissions d'information, animées par des journalistes (24/60 et téléjournaux).
Rédigé par : Étienne | 13/08/2012 à 17:14