Formation: Baccalauréat en droit, DESS en journalisme international
Fait de la critique depuis... 1999
Titre: Chroniqueur aux cahiers Arts et Cinéma de La Presse
Citation: « Je ne pense pas que mon travail en particulier a un impact sur les créateurs. Il faut voir la critique dans son ensemble, comme un point de vue donné à un certain moment et qui s'inscrit dans une perspective à la fois historique et sociale. Cette perspective fait avancer certaines choses, pose des questions, soulève des doutes. Cet ensemble a un impact sur les créateurs, sur la façon dont ils perçoivent leur travail. »
Chroniqueur à La Presse, panéliste pendant cinq ans à l'émission C'est juste de la TV, Marc Cassivi est reconnu pour son franc-parler. Comme la critique occupe nos échanges en 140 caractères depuis plusieurs mois, il me semblait logique de terminer le projet Métier = Critique avec quelqu'un qui sait parler sans complaisance de son métier... et de lui-même.
Au commencement...
... il y avait un enfant qui rêvait de devenir journaliste. Un peu sous la pression familiale, un peu par inquiétude pour les perspectives d'avenir, il décide d'étudier d'abord en droit. Mais le rêve s'accroche. Il écrit déjà à la Jeune Presse et commence à piger pour le cahier Sortir dès ses 20 ans. C'est à son retour de Lille, où il a complété un DESS en journalisme international, que le tempo s'accélère. En 1998, il est engagé au pupitre de La Presse. L'année suivante, il fait le saut au cinéma. À 27 ans, il devient chef de la division Arts et Culture et quelques années plus tard, il est nommé chroniqueur.
Critique ou chronique
En grattant un peu, on réalise que c'est la chronique qui l'attirait depuis tout le temps. Quand je lui demande ce qui le faisait tant rêver dans le journalisme, il hésite longuement: « Je pense que je voulais dénoncer. Dénoncer la bêtise. » Il admet en souriant: « Il fallait sans doute une certaine prétention. Un ego. Il a toujours été là... »
Marc Cassivi avoue d'emblée qu'il préfère la chronique à la critique pure parce qu'elle lui permet d'analyser un film dans l'angle qui lui convient (que ce soit le jeu d'une actrice, la direction photo ou le thème). Le rôle critique est toujours là, mais moins cantonné dans une structure (grandes lignes de l'intrigue, repères pour le lecteur, etc.). La chronique lui permet aussi de toucher aux aspects sociaux des arts et du cinéma qui sont souvent la source de ses textes les plus virulents et les plus médiatisés.
Regrette-t-il, parfois? Jamais le fond, presque toujours la forme. « C'est rare que le lendemain je sois vraiment fier de ce que j'ai écrit. Mais je regrette rarement le propos. » Et les coups de gueule? « Mes meilleures chroniques de ce type-là, je les écris en étapes. Je me couche fâché. Je me relève pour écrire. Le lendemain je récris et il ne reste presque rien de la veille. Mais il reste l'essence de l'indignation. Quand je n'ai pas la nuit pour le faire, parfois j'écris fâché. Et il m'arrive d'avoir honte... »
Marc ou Cassivi
Est-ce que Cassivi est devenu quelque chose comme une marque de commerce, un personnage? Il réfute cette idée: « Chose certaine, je n'alimente pas un personnage! » Il admet tout de même qu'il peut y avoir une distorsion entre la perception du public et ce qu'il est réellement. Par exemple, il remarque que son passage à la télévision a adouci son image. C'est que doux, il l'est dans son attitude, sans sa voix. Une douceur que ses textes ne laissent pas toujours transparaître en insistant davantage sur l'indignation. « J'ai toujours été comme ça à l'écrit. Peut-être que c'est différent de ce que je suis en réalité... Mais je ne crois pas! » Être cinglant fait partie de son arsenal pour dénoncer, il m'avouera d'ailleurs l'être bien plus en privé que dans le journal: « Je m'autocensure constamment! »
Insistant sur l'impact de la télévision, il souligne que sa décision de quitter son siège à C'est juste de la TV découle aussi d'un sentiment d'emprisonnement dans un certain personnage télévisuel. Le fait que son passage à la télévision lui ait procuré une soudaine étiquette d'intellectuel bourru parle plus de la télévision que de sa personnalité. « À la télévision, aussitôt que quelqu'un a quelques références culturelles, il passe pour un intellectuel. En toute franchise, je ne pense pas que je suis un intellectuel. Je n'ai pas une pensée originale. Un intellectuel, c'est quelqu'un qui apporte quelque chose de neuf à la Cité.»
Cette crainte devant les références culturelles contribue à l'affaiblissement de l'espace critique qui est presque disparu de la télévision et de la radio. Même dans les médias écrits la situation dépérit. Il rappelle qu'encore au début des années 2000, les critiques étaient beaucoup plus longues et que lorsqu'il a commencé, il n'y avait pas d'étoiles. « L'étoile est un grand mal pour l'esprit critique! » À son avis, le journalisme culturel se tire dans le pied en réduisant l'importance accordée aux idées et à l'analyse des oeuvres. Il compare l'esprit critique à un « muscle qu'on ne fait pas assez travailler et qui devient paresseux. » En étant rarement exposé à la critique, le public la ressent davantage comme une attaque lorsqu'elle advient. Cette frilosité ne peut que faire le bonheur de l'industrie.
L'industrie et la critique
D'ailleurs, il estime que l'incompréhension de la part de l'industrie face au travail des journalistes est criante dans le domaine du cinéma où beaucoup d'argent est en jeu. « L'industrie pense encore trop souvent que notre rôle est d'aider à faire connaître les films. » Pour Marc Cassivi, il faut à tout prix que le journalisme se protège d'un glissement vers un rôle quasi promotionnel. Quand il aborde le sujet des junkets, il s'emporte un peu: « Si un politicien t'invitait à Québec, loger à l'hôtel Clarendon, souper compris, ce serait correct éthiquement? » Mais dans l'industrie du cinéma, ce sont les règles du jeu. Sinon quoi? « On le fait parce qu'on nous dit que si on ne joue pas cette game-là on ne rencontrera jamais... Woody Allen, par exemple. »
Devant des machines promotionnelles si puissantes, est-il tentant, pour le critique, de réagir de façon encore plus virulente si le produit n'est pas à la hauteur? Il hésite. « Je pense que je ne veux pas l'admettre, mais sans doute... » Selon lui, l'industrie contribue à brouiller les frontières entre promotion et critique en utilisant des techniques comme ces « vox pop à la sortie de la première alors que tout le monde a été invité. » S'il estime que le film ne vaut pas la promotion massive - et parfois aux limites de la malhonnêteté - qui l'accompagne, il concède qu'il a parfois envie de crier pour aviser les gens de ne pas se laisser berner.
Pour la suite
Courageux, Marc Cassivi? « Pas particulièrement. Je sais que parfois je dis des trucs que d'autres ne diraient pas, mais je peux me le permettre. » Il craint d'ailleurs que la précarisation du milieu du journalisme freine le développement de la critique si trop de gens sont inquiets pour leur avenir professionnel. La seule vraie condition pour faire de la critique, c'est l'indépendance.
Cet espace critique, qui lui semble vital, il le trouvait aussi à C'est juste de la TV, une émission qu'il estime « taillée sur mesure » pour lui. S'il semblait serein en m'annonçant sa décision de quitter l'aventure, il avouait ne pas voir où il pourrait trouver sa place ailleurs au petit écran. C'était avant que la Course Évasion autour du monde l'approche pour être juge de sa nouvelle saison.
Dans tous les cas, il considère son travail à la télévision comme un prolongement de son rôle de chroniqueur à La Presse. À travers les années, l'envie de dénoncer ne s'affaiblit pas, mais le goût d'écrire non plus. « Je fais le métier dont j'ai toujours rêvé. C'est tout de même exceptionnel, non? »
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Pour suivre Marc Cassivi:
Dans les pages du quotidien La Presse
Juge à l'émission Course Évasion autour du monde dès octobre
Sur Twitter
Métier = Critique était un rendez-vous mensuel avec des artisans de la critique culturelle. Chaque 15 du mois, nous avons abordé, avec un journaliste, différents aspects du métier pour mieux en cerner les contours et les défis.
Ce numéro clôt le projet Métier = Critique. Merci à tous les critiques qui ont accepté de me rencontrer et de partager leur flamme et leurs inquiétudes.
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