Vous a-t-on assez suggéré de vous procurer le premier numéro de Nouveau Projet? J'irais même jusqu'à vous suggérer de vous abonner ne serait-ce que pour soutenir une initiative qui le mérite. Tout n'était pas d'égale valeur dans ce premier numéro (que j'ai consommé lentement comme nous le suggérait le rédacteur en chef), mais la grande majorité des textes valait le détour. On apprécie l'espace, la longueur des textes, la respiration de la pensée. On apprécie le graphisme recherché sans pourtant que le graphisme bouffe l'espace du texte comme on le voit ailleurs.
Parmi les textes stimulants parus dans le tout premier numéro de Nouveau Projet, notons un court essai de Bill McKibben d'abord paru dans le magazine Adbusters. Dans ce texte qui, d'une certaine façon, pourrait devenir le charte de Nouveau Projet, McKibben insiste sur le prochain grand combat auquel nous devrons faire face: la préservation de notre environnement mental. J'ai trouvé particulièrement intéressant que l'auteur insiste sur le danger, trop facile, de faire des parallèles douteux avec l'environnement physique. C'est dans sa nuance que ce texte trouve sa puissance.
Lorsqu'il parle de notre environnement mental, l'auteur fait entre autres référence au règne de la publicité et à l'hégémonie du divertissement abrutissant qui mange de plus en plus toute la place disponible dans l'espace public. Ceux qui me suivent de près savent jusqu'à quel point ces thèmes me sont chers. Or, contrairement à plusieurs de ses confrères qui défendraient la même idée, McKibben nous invite à nous méfier de comparaisons qui voudrait dépeindre notre esprit comme une source claire ou une forêt ancestrale ternie par les méchantes mégacompagnies transnationales qui y déversent leurs idées préfabriquées à coup de campagnes marketing faites pour encourager le consommateur en nous (qui a souvent le sommeil léger, admettons-le).
McKibben insiste: il n'existe pas de début connu de l'espace mental, quelque chose comme un espace mental préculturel ou sans influence. Le développement du cerveau humain s'est fait dans et par sa sociabilité et son rapport à la culture. Un espace mental vierge est un non-sens et on a trop rapidement tendance à oublier que les forces commerciales déchaînées telles que nous les connaissons présentement ne sont pas les premières à s'intéresser à la colonisation de notre cerveau. Des normes sociales, des obligations politiques, des limites religieuses, tout cela a aussi contribué avant l'ère de la publicité mur-à-mur et contribue encore à la pollution de l'environnement mental.
L'ultime paradoxe de l'époque actuelle est peut-être de se proclamer libre et d'accepter, dans le même souffle, d'être soumise à un matraquage lié à la consommation et à la notion de loisir. C'est ici que McKibben nous invite à nous secouer et nous ne pouvons qu'être d'accord avec lui. Dans l'excellente exposition Dieu(x): mode d'emploi du Musée des civilisations à Ottawa, il est étonnant de trouver parmi des objets de culte une photo d'Elvis, des pendentifs de Mao et je ne sais plus quelle variante de l'image du Che. Dans le sillage de McKibben, nous pourrions déplorer que nous ayons relégué des cultes imposés pour s'abandonner aussitôt à d'autres types de dévotion qui ont à la fois la force et la faiblesse d'être choisis par l'individu qui s'y prosterne. (Soulignons tout de même qu'il est étonnant que pour démontrer son point l'auteur évoque, comme force d'émancipation... Harry Potter!)
C'est une force, bien entendu, puisqu'on ne peut nier l'intérêt d'avoir le choix de nos drogues même si nous sous-estimons le rôle des différents processus d'aliénation auxquels nous sommes soumis. C'est aussi une faiblesse parce qu'en étant en partie responsables de notre abandon aux pollutions qui nous entourent, nous en sommes en partie responsables. Une aliénation qui se croit libre n'en est pas moins une aliénation et il n'est pas moins difficile d'y faire face.
En ce sens, je vous conjure d'abandonner l'expression «Tous les goûts sont dans la nature». Nous savons peu de choses de l'humain en état de nature, mais nous savons certainement que la plupart de nos goûts (gastronomiques, vestimentaires, musicaux, en matière de séduction, etc.) ont bien peu à voir avec cet état de nature. S'il y un phénomène à haute teneur culturel, largement enclin à la pollution publicitaire et à l'influence aliénante, c'est bien le domaine des goûts...
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