J'ai déjà écrit un texte qui s'intitulait « Pourquoi je ne suis pas Denise Bombardier ». Je maintiens l'assertion. Mais...
Disons d'abord que je repense souvent à cette histoire que nous racontait Thierry Hentsch, mon directeur d'études, spécialiste de l'identité. En sortant de chez lui avec un ami, ils croisent un voisin avec qui ils discutent quelques minutes. En s'éloignant, il avoue à son ami: « Je déteste ce voisin. » Son ami, étonné, lui dit: « Étrange, je me disais justement qu'il te ressemble un peu. » Cette anecdote servait d'introduction pour parler des similitudes importantes qui réunissent généralement les groupes sociaux qui sont en guerre. Le besoin de démoniser l'autre étant d'autant plus criant qu'on se reconnaît en lui (à commencer par l'histoire des luttes entre les grandes religions monothéistes qui ont bien plus de points communs que de divergences).
Pour en revenir à Denise Bombardier, admettons d'abord que je lui ressemble sur plusieurs aspects qui ne relèvent même pas des idées. C'est mon père qui insistait au printemps dernier pour que je regarde une entrevue qu'elle a accordée à je ne sais plus qui à propos de sa grande histoire d'amour et du roman qui en a découlé. Je n'ai jamais vu l'entrevue (par peur d'être réellement touchée?), mais, bien entendu, je me projette - moi et mes espoirs - dans ces femmes qui rencontrent l'amour tard.
Et puis je l'observais lors du Forum mondial sur la langue française et je me reconnaissais dans son corps, dans sa posture, dans sa démarche. Dans son énergie, finalement. Je la trouve belle, moi, Denise Bombardier. Ben oui. J'aime son style, ses vêtements, ses lunettes toujours un brin excentriques. Je la regardais et je me disais que je ressemblerais à ça dans quarante ans. Et avec un peu de bol, moi aussi j'aurai rencontré mon grand amour à cet âge-là...
Mais, évidemment, je ne suis pas Denise Bombardier parce que nous n'avons pas les mêmes idées. Je lui reproche ses raccourcis, sa façon d'user d'autorité en se basant sur des concepts détournés (souvent générationnels), d'affirmer des généralités sans aucune nuance. Il était fascinant, à ce même Forum, de l'entendre affirmer que le joual isolait les Québécois tandis que les Africains, eux, parlent un français si recherché. On constate comment Mme B fréquente souvent la rue africaine! Et il est vrai que l'élite québécoise utilise régulièrement le joual dans ses relations internationales... C'est de ce type d'arguments alambiqués avec lesquels la journaliste fait son pain et son beurre, en plus d'avoir recours à un certain conservatisme, que je n'achète pas.
Je ne suis pas Denise Bombardier, même si parfois nous partageons des constats. Je suis d'ailleurs souvent amusée de me rendre compte que je suis d'accord avec le premier paragraphe de sa chronique avant de passer le reste de ma lecture à me tâter sur l'opportunité de me défenestrer un beau jour de week-end.
Je ne suis pas Denise Bombardier, mais pendant ces quelques jours où je l'observais, je me suis demandé ce qui me préserverait tant de le devenir. Et pas juste parce que j'aime ses lunettes et que j'espère un amour tardif. Surtout parce que ce que je reproche à Denise Bombardier (comme à d'autres) c'est de s'être enfermée dans ses convictions et d'accepter, une fois enfermée, de les démontrer par n'importe quel moyen. Je lui reproche d'accorder plus d'importance à la faim qu'au chemin qu'elle prend pour l'assouvir.
Or, comme j'ai des convictions. Comme il m'arrive déjà d'être fatiguée de me répéter, d'expliquer à nouveau mon raisonnement, de mettre à jour mes prémisses, qu'est-ce qui me protégera de m'enfermer? Il m'arrive de plus en plus d'être épuisée de tenter la nuance quand, de toute façon, si peu de gens l'entendent et ne comprendront qu'une chose: si je ne suis pas 100% avec eux, c'est sans doute que je suis dans l'autre clan.
Et puis la vérité, c'est que je suis un brin narcissique moi aussi. Moi aussi j'aime m'entendre, moi aussi j'aime quand ma voix porte, moi aussi j'aime quand ça réagit. Et ça réagit mieux, non, quand le trait est un peu gros? La vérité c'est que moi aussi je pourrais me laisser griser et que je ne suis pas tout à fait certaine de toujours avoir la force de m'arrêter si je me sens m'éloigner du lent travail argumentaire.
Je ne suis pas Denise Bombardier.
Mais pour combien de temps?
Écho en moi qui ressemble tant (mais pas physiquement car je ressemble à mon père et elle à sa mère qui ressemble à la mienne et porte le même diminutif-prénom) à celle que je considérai comme mon âme-sœur (et ça semblait réciproque jusqu'au jour où elle m'a soudainement effacée) et qui "bien sûr" écrit.
Le plus troublant : à un salon du livre et alors qu'à la fin d'une séance de dédicace elle m'avait confié ses affaires le temps d'aller saluer quelqu'un, une lectrice m'a demandée si je n'étais pas elle.
Ce jour-là j'ai su qu'à l'écriture je n'échapperai pas.
Nous avions avant même la rencontre la même façon de nous habiller - garde-robe antérieure donc ce n'était pas même une question d'influence -.
Ma conclusion est qu'il ne vaut mieux pas trop ressembler à Denise Bombardier, ça peut hélas très mal se terminer. Le mieux est sans doute de faire abstraction et de suivre son propre chemin sans trop se préoccuper de la sorte bizarre de gémellité.
Rédigé par : gilda | 23/08/2012 à 18:41