Formation: Doctorat en études françaises de l'Université de Sherbrooke
Fait de la critique depuis... plus d'une trentaine d'années
Titre: Critique de poésie pour Le Devoir
Citation: «Une littérature nationale ne peut pas survivre sans sa critique.»
Hugues Corriveau est écrivain et critique. Depuis 1978, il a signé près d’une trentaine d'ouvrages (essais, romans, recueils de poésie et de nouvelles). Considérant son travail critique comme une partie intégrante de son oeuvre littéraire, il trouve décevant qu'on n'accorde pas à la critique l'attention qu'elle mérite. «Ça ne s'impose pas comme un genre littéraire propre dont on pourrait parler.» C'est donc avec grand plaisir que M. Corriveau a accepté de partager ses réflexions sur le sujet.
Au commencement...
... il y avait un jeune garçon initié à la poésie par son frère . Souhaitant se situer par rapport à l'écriture classique de son aîné, le jeune Hugues Corriveau s'intéresse rapidement à la forme, à la structure, à la nouveauté, et se lance lui-même dans l'expérience littéraire. Terminant ses études en 1972, il traverse une période de stagnation et d'inquiétude avant de publier ses premiers textes à La nouvelle barre du jour. Arrivant dans ce milieu au moment où les responsables de la revue vivent une phase d'épuisement, c'est en quelques mois à peine qu'Hugues Corriveau passera du statut d'inconnu à celui de directeur de la revue. Nous sommes au début des années 1980. Dès les premiers pas de sa carrière, il touche à la critique: c'est le coup de foudre.
La critique comme parole publique
Hugues Corriveau fait partie de ceux qui croient à la nécessité d'un discours critique pour permettre à l'art d'exister et de fleurir. «C'est concomitant. Il faut que des gens stimulent la pensée, travaillent dans la pensée, en même temps que les créateurs.» La critique ne cherche donc jamais à se substituer au travail de l'artiste, mais lui offre un écho analytique.
La critique médiatique est aussi un discours public. Elle s'adresse au lecteur, bien sûr, mais Hugues Corriveau estime qu'il serait hypocrite de ne pas prendre en compte qu'elle s'adresse aussi à l'artiste. L'aspect public de la critique agit ici comme une caisse de résonance. «Parce qu'elle est publiée, la critique parvient à l'auteur de façon beaucoup plus radicale et profonde que si elle était dans l'ordre de l'intimité.»
Objet = poésie
J'ai demandé à Hugues Corriveau si l'idée qui veut que la poésie soit difficile à critiquer est recevable. «La poésie, c'est la mise en jeu de quelque chose qui est une rencontre extrêmement précaire entre l’émotion et la forme; c'est un essai de renouvellement de la capacité à produire du sens.» À ses étudiants qui rechignaient parfois devant la complexité de la poésie, le critique répondait: «Mais elle est faite pour ça!» Le poème ne s'épuise jamais, et le critique, par sa culture, par son sens analytique aguerri, tente de l'éclairer.
Hugues Corriveau est sans doute le plus important critique spécialisé en poésie dans le Québec actuel. Le bilan de santé qu'il fait de la critique est partagée. Pour ce qui est de la poésie, c'est vite fait: Le Devoir est le seul média généraliste à publier des critiques de poésie régulières. Sinon, les adeptes doivent se rabattre sur les revues spécialisées en littérature. Trop peu? M. Corriveau nous pousse à réfléchir autrement et à saluer l'effort que fait Le Devoir. Au total, le critique traite près d'une cinquantaine d'ouvrages chaque année. Si on considère qu'il se publie entre quatre-vingts et cent titres de poésie annuellement, la couverture critique n'est pas si mal.
En effet, Hugues Corriveau nous invite à relativiser un certain discours qui tend à croire que tout était plus rose avant. «À l'époque des Joyeux troubadours et des radios-romans que nos parents écoutaient assidûment, voulez-vous me la nommer, l'émission littéraire à la radio? Y en avait-il une?» Aujourd'hui, on parle de livres à la télévision et à la radio. Peut-être pas toujours des livres dont on rêverait d'entendre parler, mais il ne s'en étonne pas. «La littérature qui nous intéresse, c'est-à-dire la véritable littérature, celle qui engage un processus d'écriture, une mise en oeuvre d'un projet qui soit autre chose qu'une histoire à raconter, il n'y aura jamais de lieux [dans les médias grand public] pour ça. Alors, où est le désespoir?»
Ce qui inquiète Hugues Corriveau, c'est moins l'espace dévolu à la critique que la prolifération de ce qu'il appelle la «critique impressionniste». Il constate que de plus en plus de critiques sont en fait «des résumeurs et des gens qui se pâment pour une feuille au vent». Il rappelle l'expérience de La bande des six, qui produisait une critique très assumée (bien qu'un peu trop portée à faire de la critique-spectacle). Que s'est-il passé? «Ç'a été un espèce d'électrochoc, un peu comme si les institutions [culturelles] ne s'étaient pas remises de ce qu'elles percevaient comme une certaine violence.» Depuis, il constate une tendance à reproduire le même genre d'émission tout en l'édulcorant. Mais un critique qui vivrait dans «l'apothéose du bonheur avec tout le monde» serait-il un vrai critique?
Hugues Corriveau souhaite lire et entendre des critiques qui répondent à la double exigence du métier: faire preuve de culture et faire preuve d'audace. Bien entendu, cela implique de ne pas faire que des heureux: «Ce n'est pas le rôle de la critique d'aller chercher de l'amour...»
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Crédits photographiques: Alexis K. Laflamme (DRAZEL)
Pour suivre Hugues Corriveau:
Dans les pages du quotidien Le Devoir
Le mois prochain (pour un dernier rendez-vous): Marc Cassivi, critique cinéma à La Presse
Métier = Critique est un rendez-vous mensuel avec des artisans de la critique culturelle. Chaque 15 du mois, nous abordons, avec un journaliste, différents aspects du métier pour mieux en cerner les contours et les défis.
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