Ça se passait dans le cadre d'une table-ronde sur le tourisme procréatif en Inde à l'émission L'après-midi porte conseil le 30 avril dernier. Les deux experts exploraient les aspects humains, éthiques, médicaux, légaux, sociologiques qui se superposent dans cette troublante affaire. Commentant la notion du "droit à l'enfant", Alain Roy, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal, a affirmé: "On permet, ici au Québec, à une femme seule d'avoir un enfant sans avoir à s'encombrer d'un père. L'enfant est alors privé de filiation paternelle parce que le père ne fait pas partie du carnet de commandes de la mère." (Vers 11m50 dans l'entrevue.)
J'ai eu des frissons dans le dos. Pourtant, comme lui, je crois que le droit à l'enfant n'existe pas et j'étais assez froide face à la nouvelle législation québécoise. Mais il y a, dans cette phrase, tant de mépris pour le parcours de certaines femmes, j'en ai été estomaquée. Ça m'aura d'ailleurs pris plus de deux semaines avant de pouvoir répondre.
D'abord, je suppose que M. Roy n'est pas très chaud à l'homoparentalité si je me fie à son argument sur la filiation paternelle. Pour ma part, j'ai bien du mal avec une conception fermée de la famille nucléaire comme modèle idéal. Un ami m'a déjà dit: "Ce modèle a fait ses preuves." Ai-je vraiment besoin d'aligner les exemples de familles où il n'a rien prouvé de très positif? De toute façon, la famille nucléaire se dénucléarise souvent pour plusieurs raisons qui relèvent des parcours de vie. L'idée qu'une famille monoparentale par choix serait plus néfaste qu'une famille monoparentale par accident ne m'apparaît pas évidente.
Ce qui m'a d'abord blessée, pour ensuite me choquer, c'est le sous-entendu selon lequel les femmes qui choisissent d'avoir un enfant seule le font dans une perspective planifiée qui exclurait d'emblée la présence d'un homme dans leur vie. Perce ici le spectre de la matriarcalisation de la société qui m'apparaît assez grotesque.
D'abord, les mères célibataires par choix restent un phénomène très marginal. Ensuite, je ne vois rien dans l'espace public qui révèle une vague de célibat prôné par des femmes enfin heureuses de se libérer de la place de l'homme dans leur vie. Au contraire, les publications et les émissions dites "féminines" carburent à la recherche de l'homme et rien ne présuppose un renoncement au couple hétérosexuel comme modèle idéal.
Bien sûr, chaque parcours de vie a sa couleur, mais il faudra se lever tôt pour me faire croire qu'il y a une pléthore de femmes dans les cliniques de procréation qui sont soulagées d'être enfin libérées des hommes. Je côtoie certaines femmes qui ont eu, ont pensé ou pensent avoir un enfant seule. (Confessons que j'en suis, histoire d'afficher mes préjugés.) Une des choses qui unit toutes ces femmes, c'est qu'elles n'ont pas exactement 20 ans quand elles ont cette réflexion. Quand elles se décident, il est souvent minuit moins une.
Je ne connais aucune femme célibataire qui a choisi la procréation assistée ou l'adoption avec soulagement. "Wouhou, je vais avoir un bébé toute seule, what a party!" Il faudrait n'avoir aucune notion de ce que peut être une famille monoparentale pour en venir à cette conclusion. C'est une décision énorme, pesante, lourde de conséquences en matière de niveau de vie, d'engagement, de temps pour soi... et de futures possibilités de couple. Et c'est souvent vécu, n'en déplaise à M. Roy, comme un aveu d'échec: "Je n'aurai donc pas su rencontrer l'homme qui voudrait une famille avec moi." Je ne crois pas qu'une femme hétérosexuelle qui caresse le rêve d'avoir un enfant en vienne à cette conclusion le bonheur au ventre. Or, il arrive un moment où tu dois bien constater qu'il n'y en a pas d'homme dans ta vie... Alors, quoi?
Malgré ce qu'on raconte souvent, je ne pense pas que le couple traverse plus de crises que dans le passé. Il y survit moins, c'est manifeste. Nous avons aujourd'hui une grande liberté de choisir nos parcours et nos engagements. Certaines personnes, parmi lesquels un certain nombre d'hommes hétérosexuels, choisissent aussi de ne pas avoir d'enfants. Combien de couples se brisent sur ce projet qui n'est pas partagé?
Contrairement à M. Roy, je ne crois pas que ces femmes en sont là parce qu'elles n'ont pas voulu "s'encombrer d'un père". Or, si on tient à s'intéresser au "carnet de commandes" des femmes, il faudrait peut-être s'intéresser aussi à celui des hommes. Il apparaît que certains d'entre eux ne tiennent pas à la paternité (ou ne souhaitent pas s'encombrer d'un enfant, pour paraphraser l'expert). Peut-être y a-t-il un corollaire? Je laisserai au chercheur le soin de nous le dire. Regarder les multiples facettes d'une réalité est toujours salutaire pour se brasser les préjugés.
Commentaires