si en chemin je rencontre du feu, je brûle sans me demander si ce brasier est homme ou si cette flamme est femme
Louky Bersianik, Pique-nique sur l'Acropole (1979)
"La virilité est-elle en crise?" demandait l'équipe de Bazzo.tv à ses invités la semaine dernière. Ayant déjà écrit sur la question, j'ai voulu passer tout droit. Il faut dire que ça se termine bien: on nous exhorte à sortir de la distinction masculin/féminin et on nous rappelle que la définition historique de la virilité repose sur des concepts idéologiques. Le problème c'est qu'en admettant d'emblée de discuter de la virilité comme si c'était un concept incontournable, cette discussion aura fait exactement l'inverse, soit réitérer des généralités sur le féminin et le masculin.
Le concept de virilité ne peut être que comparatif puisqu'il cherche à définir l'essence de ce qu'est l'homme, le vrai. Cela implique de l'opposer à la femme puisque si les caractéristiques peuvent leur appartenir à tous les deux, elles sont "humaines" et non pas "viriles". Or, le concept de virilité classique (force physique, puissance sexuelle, contrôle des émotions, rationalité, etc.) étant considéré dépassé, on lui cherche une définition moderne. Mais les vieux fantômes reviennent au galop...
Dans cette volonté de redéfinition, le psychologue Marc Pistorio dira que la virilité c'est d'accepter qu'on a une part de masculinité et de féminité... ajoutant dans le même souffle que c'est vrai des femmes aussi. Josée Blanchette insistera sur l'importance des valeurs morales dans la virilité. Elle ne dira pas si les valeurs morales doivent aussi faire partie de la palette des femmes, mais j'oserais le supposer. Le charisme et la confiance en soi sont souvent associés à la virilité. Mais qui oserait affirmer que le charisme et la confiance en soi sont des traits masculins?
Vrai que M. Pistorio dira que les garçons se tiraillent davantage et que les parents ne devraient pas s'en inquiéter. Faut-il s'inquiéter si nos filles se tiraillent? On ne le saura pas. Marie-France Bazzo fera l'hypothèse que l'obsession sécuritaire autour des enfants aujourd'hui relèverait d'une féminisation excessive de la société, revenant à la charge avec l'idée que le féminin relève du doux, du foyer, du sensible, de l'empathie.
Et puis c'est de la bouche de Josée Blanchette que l'affirmation tombe: "L'homme est un chasseur". Nous voilà revenus à la définition classique de la virilité. S'il y a un chasseur, c'est nécessairement qu'il y a la perception d'une proie... Il est assez fascinant de voir les efforts que nous aurons mis à nous débarrasser du joug de la nature dans à peu près toutes nos activités (rapports politiques, production économique, rapports juridiques, etc.)... sauf dans nos rapports de genre. Dans ce domaine, toutes les occasions sont bonnes pour évoquer l'instinct.
Ce qui me pousse à soulever l'autre question qui me reste toujours prise dans la gorge en écoutant ces conversations sur la virilité. Toutes ces préoccupations recèlent un important potentiel homophobe, suis-je donc la seule à m'en apercevoir? Quand on s'exclame sur le plateau de Bazzo qu'on crée des "moumounes" au Québec, vous m'excuserez de voir mon malaise s'amplifier. On discute sans gêne de ce qu'est l'homme, l'essence de l'homme, la fierté de l'homme et on rapporte chacune de ces définitions à des préoccupations hétérocentrées et au rapport de séduction/différenciation que l'homme devrait entretenir avec la femme (en sachant, par exemple, l'inviter à danser).
Je m'excuse, mais un homme est un homme. Il n'a rien à mettre en oeuvre pour le prouver à part si on cherche à le faire correspondre à une idée socialement construite de la masculinité.
Nous décrions la naissance de "l'abominable homme rose" sans que je sache trop de quoi on parle. Y a-t-il aussi des femmes bleues? Ce serait une bonne nouvelle alors. Nous aurions ouvert la palette des couleurs comme on a ouvert l'accès aux métiers. Le psychologue invité dira d'ailleurs que chacun doit trouver à exprimer qui il est. J'aurais plutôt dit que chacun a enfin la liberté de devenir qui il souhaite.
Perso, je pense que je suis une femme verte. Pour l'espoir.
L'espoir qu'on laisse les enfants naître garçon ou fille en leur donnant la liberté de devenir l'homme ou la femme qu'ils souhaitent et en cessant de toute urgence de leur prescrire une bonne façon d'être ce qu'ils sont.
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Merci à l'inspirante poète @ElaineAudet (sur Twitter) pour la citation en exergue.
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