Dans une chronique parue en décembre sur le nouveau Tintin, Marc Cassivi abordait la question incontournable (et un brin dérangeante) de ses enfants en sortant du cinéma: "Combien d'étoiles, papa?". Bien qu'ils n'ont pas tous un père dont le métier est de poser des étoiles sur les films, j'ai souvent pu constater l'importance que les enfants accordent à l'évaluation par étoiles.
Enfants et adolescents ont un attachement semblable aux palmarès. À l'époque, je n'aimais rien de plus que les palmarès de chansons. Ça me permettait de réentendre toutes mes chansons préférées qui jouaient déjà tout le temps, de valider mes goûts (formatés par la radio commerciale qui faisait le palmarès, mais ça je n'y comprenais rien encore!) et, finalement, de faire mon propre exercice et de contester un palmarès qui me semblait souvent injuste.
On pourrait d'ailleurs faire un parallèle avec tout ce qui relève des concours et des éliminatoires qui ont aussi la cote chez les jeunes. Leur grand intérêt pour les télé-réalités et éliminations devant jurys nous le démontre régulièrement.
Ce n'est pas très surprenant. Tous ces processus visent à simplifier et à formater l'évaluation de la qualité, à rentrer le réel (immensément complexe) dans des petites cases. Pour les enfants, c'est un soutien pour appréhender la difficile tâche de l'évaluation.
Ce qui est plus étonnant, c'est l'attachement qu'ont aussi les adultes à ces formes de compréhension simplifiée du réel. Par exemple, plusieurs commentateurs avaient prédit que l'émission Ils dansent aurait peu d'intérêt si elle refusait de faire place à un modèle éliminatoire. Mais pourquoi? Quel est donc notre besoin de classifier la qualité ainsi, de la faire entrer dans des chiffres, des listes, des palmarès ou une dichotomie gagnants/perdants?
Je connais peu de critiques qui aiment les étoiles, pourtant la grande majorité s'en accommode comme un incontournable. Rares sont les publications qui y résistent encore et les lecteurs y tiennent. Si les critiques se plient à l'exercice par obligation et souvent à reculons, les lecteurs y trouvent tout à fait leur compte. Il m'intéresserait d'ailleurs de savoir combien de lecteurs consultent uniquement la cote sans lire le texte. Mais peut-être cette donnée serait-elle trop déprimante...
Le travail critique ne peut jamais se résumer à une classification utile puisqu'il tente de rendre compte d'une réalité beaucoup plus complexe. Les niveaux de lecture sont multiples lorsqu'on fait de la critique: innovation créative, réalisation technique, authenticité de l'interprétation, inscription de l'oeuvre dans un tout, etc. Comment est-il possible de résumer tout cela en quelques étoiles? Déjà en 250 ou 500 mots, le défi est immense!
Les palmarès ont une fonction semblable en ce qu'ils tentent de rendre compte d'un milieu et de ses tendances en un regard. De la même façon, les éliminations dans les émissions s'appuient généralement sur des jurys et des notes et visent à départager le bon grain de l'ivraie souvent de façon très partielle, succincte et dans l'urgence.
Il est normal qu'on se dote d'outils pour appréhender le réel qui est, en toute chose, trop complexe pour qu'on l'enlace en entier. Chaque concept que nous utilisons est une façon d'y arriver, mais nos efforts pour appréhender le réel ne devraient pas nous excuser de le simplifier à outrance.
Les étoiles peuvent nous faciliter la vie, mais elles peuvent être exceptionnellement réductrices et tendent à résumer le travail critique à un conseil de consommation. Elles ne sont pas un mal en soi (pas plus que les palmarès) ne serait-ce que parce que les enfants s'y intéressent et que leur simplicité graphique permet d'attirer le regard sur les affaires culturelles. Ce qui est plus inquiétant c'est que nous, adultes, avons tendance à nous en satisfaire et à les présenter comme s'il s'agissait d'une finalité. J'entends rarement qui que ce soit me parler d'une critique, on réfère pourtant souvent au nombre d'étoiles que tel journaliste à donner à ceci ou cela. Parfois, ça semble nous arranger de penser que bien des choses se résument en quelques étoiles ou un top 10 de fin d'année.
Ces outils ne devraient jamais être un passe-droit pour négliger l'analyse qui les sous-tend. Derrière chaque étoile, même celles données par des enfants, il devrait y avoir un "Pourquoi?". C'est lui qui est important.
Commentaires