J'ai eu envie de ce texte après un petit incident, il y a deux semaines, à C'est juste de la TV. Dénonçant des images de lancer du nain (!) diffusées à un réseau sportif, Marc Cassivi a expliqué qu'il aimait mieux utiliser le mot "nain" que "personne de petite taille". Après tout, a-t-il dit, Blanche-Neige était avec des nains. Sur le coup, ça m'a fait rire. Ça m'a surtout fait rire que Marc Cassivi utilise Blanche-Neige comme argument. C'est un peu comme si Michèle Richard citait Scorsese...
Une fois la surprise passée, je me suis étonnée que Marc fasse un tel pied nez à une convention que j'aurais eu tendance à respecter. Faut dire qu'il est plutôt de bon ton de critiquer tout ce qui relève de la rectitude du langage. L'utilisation d'euphémismes qui, selon certains, camoufleraient la réalité sous prétexte de ne pas heurter est régulièrement au banc des accusés.
Je peux comprendre qu'on décrie un certain langage politicien ou fonctionnarial qui lisse trop le vocabulaire et qui refuse d'appeler par leur nom les fraudes, la corruption, les abus de pouvoir ou les échecs. Mais à partir du moment où le langage heurte des gens dans leur identité et que se sont ces gens, qui nous demandent d'en changer, n'est-ce pas un peu différent? Comment décider à quel moment la rectitude dépasse les bornes?
Après tout, si on admet que le langage a une force performative et qu'il contribue à fonder notre appréhension du réel, le choix des mots ne peut pas être innocent et il semble normal qu'on exige que notre langue s'ajuste à des contextes sociaux en mouvement.
Marc Cassivi a dit ce soir-là que le mot "nain" est dans le dictionnaire. Vu comme ça "nègre" aussi, "pute" aussi, même "boche"... "Obèses" et "grosses" sont aussi des mots du dictionnaire, mais je vous avoue que je préfère encore "femmes rondes". C'est un euphémisme? Peut-être. Mais il fait du bien. Alors si les "nains" demandent qu'on ne les appelle plus ainsi parce qu'ils déplorent l'image caricaturale associée à ce terme, qui suis-je pour décider que ça, c'est un abus de rectitude?
Le féminisme s'est beaucoup heurté à cet argument selon lequel le langage est un détail. Récemment (!), les Françaises se sont faites servir cet argument lorsqu'elles ont demandé l'abolition du mot "mademoiselle" dans la gestion administrative. Ce simple mot est porteur du statut matrimonial, distinction qui ne concerne que les femmes. Difficile de dire qu'il s'agit d'un terme innocent...
Certaines expressions courantes méritent aussi d'être interrogées. Jocelyne Robert affirmait récemment sur Twitter qu'elle ne tolérait plus l'expression "montée de lait". Pas besoin d'un grand sens de la métaphore pour voir tout ce que cette expression a de sexiste. Sachant qu'historiquement l'hystérie était un problème considéré féminin, on peut comprendre les frilosités. Vous pouvez pété les plombs à la place, c'est un peu plus neutre. Même chose pour "avoir des couilles" qui relie directement le courage à la virilité. Ayez donc de la colonne, ça ne vous empêchera pas de défoncer les portes.
Évidemment, si vous ne croyez pas que le langage est constitutif de sens, tout ça est une grande perte de temps. Par contre, si vous êtes sensibles à l'impact du langage sur la société, il n'est pas si évident de tracer la ligne entre ce qui est un abus de rectitude et ce qui est une modification d'habitudes langagières qui fait sens.
Toute ma jeunesse j'ai utilisé le mot "Mulâtres" pour parler des enfants ayant un parent noir, un parent blanc. Pour moi, les "Métis" étaient les enfants issus d'un couple mixte Amérindien/Caucasien. C'est une fois jeune adulte que j'ai appris que "mulâtre" venait de "mule". Comme un animal. Ça non plus, ce n'est pas tout à fait innocent, même si le mot est reconnu par l'Académie.
Personnellement, je ne trouve pas vain de bannir un peu de couleurs de mon langage lorsqu'il s'agit de lutter contre des relents de discrimination, même s'ils sont inconscients.
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