Formation : Baccalauréat en économie
Fait de la critique depuis... 1985
Titre : Chroniqueur et critique culturel à The Gazette
Citation : "Si c'était si facile de faire de la critique, il n'y aurait pas autant de mauvaises critiques."
Passionné de musique, de cinéma et de culture, Brendan Kelly s'intéresse depuis longtemps à la scène locale montréalaise et québécoise. Et cette scène se vit beaucoup en français... Portrait d'un journaliste atypique qui parle à ses lecteurs d'une culture qu'ils ne consomment presque pas.
Au commencement...
... il y avait un un jeune homme impliqué dans les journaux étudiants que ce soit à Marianapolis ou au McGill Daily. Brendan avoue qu'à cette époque, il ne savait pas trop ce qu'il voulait faire de sa vie bien qu'il passait l'essentiel de son temps au journal et à la radio universitaire.
Après ses études, comme il s'intéresse à la fois aux médias et aux arts, il continuera sur le chemin du journalisme culturel. En 1985, il est un des cofondateurs du Mirror et il travaille déjà à CBC Radio comme recherchiste. C'est comme pigiste qu'il commencera à collaborer avec The Gazette. Au début des années 90, il propose au quotidien montréalais de couvrir plus spécifiquement la culture québécoise. Surtout centré sur la musique à l'époque, il écrira sur Jean Leloup, Daniel Bélanger, Kevin Parent, etc.
Un mandat hors de l'ordinaire
C'est plus tard qu'il héritera d'une chronique consacrée à la culture québécoise (qui se passe beaucoup en français) dans The Gazette. À ses yeux, il s'agit d'une niche intéressante puisque les médias anglophones accordent moins d'attention que les médias francophones à la scène locale. L'espace est plutôt consacré aux nouvelles artistiques et culturelles internationales.
Le défi est grand! Malgré la bilinguisation constante de la communauté anglophone au Québec, celle-ci consomme essentiellement de la culture en anglais. "Je fais des critiques de films que mes lecteurs ne voient pas!" rappelle Brendan tout en soulignant que les choses changent doucement. Il y a moins de dix ans, la grande majorité des films francophones québécois ne sortaient qu'en français. Aujourd'hui, il y a presque toujours une copie sous-titrée dans un cinéma de Montréal, ce qui aide son travail. Mais à de rares exceptions (Incendies, les films de Denys Arcand, C.R.A.Z.Y, etc.), ces films sont très peu vus.
Alors pourquoi en faire la critique? "Quand tu fais la critique d'un film ou d'une pièce, ce n'est pas seulement pour les gens qui vont le voir. J'ai passé ma vie à lire des critiques, juste pour lire les critiques." Ça devient donc une question de culture générale? "Je pense qu'il y a des Anglophones qui sont intéressés à lire sur la culture francophone et sur ce qui intéresse les Francophones. Ils veulent être au courant." Le journaliste admet encore recevoir des lettres et des courriels de lecteurs qui ne comprennent pas pourquoi couvrir la culture francophone, mais ça arrive beaucoup moins qu'avant.
Et comment réagissent les artistes et l'industrie à l'idée d'avoir une couverture dans un journal anglophone? Brendan constate là aussi une ouverture de plus en plus grande, surtout dans le monde du cinéma très intéressé à obtenir une couverture dans la langue de Shakespeare. Mais du même souffle, il admet que le milieu est en mutation et qu'il est peut-être plus difficile que jamais de faire de la critique. Sommes-nous en crise?
La critique en 2011
D'emblée, Brendan Kelly constate que la critique est considérée moins importante aujourd'hui qu'elle pouvait l'être il y a à peine quinze ou vingt ans. "On vit dans une culture où il y a tellement de publicités autour des films et des albums que l'industrie a moins besoin de critiques."
Comme tous ses collègues, il souligne aussi la petitesse du milieu. Les critiques doivent faire affaire tous les jours avec les gens de l'industrie et s'il y a un froid, ce n'est pas évident à gérer. "Mais il est très important pour les critiques de résister aux pressions de l'industrie du divertissement. C'est énorme. Et c'est relativement nouveau au Québec."
Brendan a aussi l'impression que la critique est moins prise au sérieux, qu'elle intéresse moins le public qu'avant. Plusieurs facteurs peuvent sans doute expliquer cela. D'abord, le public est saturé d'informations. Il y a bien sûr les multiples sites web et tous ces pré-papiers qui précèdent la sortie d'une oeuvre. En plus, le buzz autour d'une sortie peut rouler des mois avant le jour J. Dans ces circonstances, quand la critique arrive, elle est un peu perdue dans la masse d'informations promotionnelles.
Surtout que la critique lui semble de plus en plus homogène. Brendan évoque la mémoire de Pauline Kael qui était critique au New Yorker et qui avait développé une touche très personnelle. Il souligne l'excellent travail que font encore ses successeurs, Anthony Lane et David Denby. Mais dans combien de cas peut-on vraiment dire qu'un critique a une voix propre et distincte? Surtout qu'il est de plus en plus difficile de s'extraire du bruit ambiant et de ne pas subir l'influence des collègues, du public, de la machine promotionnelle.
À l'ère de l'information à satiété, se positionner comme critique est donc un défi constant.
La critique: instrument de culture
Il conclut en soulignant que la principale qualité d'un critique c'est l'ouverture. Ça semble aller de soi, mais ce n'est pas si simple. Les gens abordent souvent une oeuvre avec des idées préconçues. "Ce n'est pas parce que c'est Martin Scorsese que ce ne sera pas un navet!"
Peut-être est-il plus facile de rester ouvert en considérant la critique comme un instrument de partage culturel? Le critique, dans cette perspective, bâtit un pont entre le public et les oeuvres. Brendan Kelly, dont le mandat essentiel consiste à parler de culture québécoise à un public non-converti, se fait un devoir d'aborder son métier ainsi.
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Pour suivre Brendan Kelly:
sa chronique dans The Gazette
son blogue sur le site The Gazette
dans Variety
sur Twitter @brendanshowbiz
Le mois prochain: Jérôme Delgado, critique en arts visuels pour Le Devoir
Métier = Critique est un rendez-vous mensuel avec des artisans de la critique culturelle. Chaque 15 du mois, nous abordons avec un journaliste différents aspects du métier pour mieux en cerner les contours et les défis.
Archives: No1 - Manon Dumais | No2 - Philippe Couture | No3 - Philippe Papineau
Intéressant tableau de l'« autre » critique. Sur la scène internationale, la critique montréalaise est souvent ridiculisée. Ça rassure de lire le portrait de quelqu'un qui semble encore avoir des principes.
Rédigé par : Lucie | 17/12/2011 à 10:17