Parfois, tout le monde vous parle de la même chose au même moment et ça sonne des cloches. On pourrait dire que les cloches s'alignent (comme on dirait les astres s'alignent). Un voisin de restaurant explique à sa conjointe que les bonbons rouges ne sont pas très masculins. Sur Twitter, quelqu'un demande à la blague: "Est-ce possible pour un gars de boire un verre de rosé sans se sentir attaqué dans sa virilité?" Depuis quelque temps, chaque fois que je parle d'un homme que je trouve assez beau-et-charmant on me souligne qu'il n'est pas très viril. Ah bon... J'avais l'habitude des regards décontenancés lorsque je parlais de certains "hommes laids" (pas laids du tout, mais bon...). Voici qu'on m'accuse de donner dans la non-virilité.
Réalisant que je ne comprends pas grand chose à ce concept, j'ai fait une petite recherche. La définition se décline en deux volets: l'un qui réfère aux attributs physiques et sexuels de l'homme, l'autre à la symbolique qui s'y rattache. On y parle d'énergie, de puissance et, plus spécifiquement, de puissance sexuelle.
J'ai vite réalisé que je ne pourrais pas aller plus loin si je ne m'intéressais pas davantage à la féminité. Dans ce cas, la définition n'évoque pas d'attributs physiques et sexuels, mais uniquement des "caractères propres à la femme". Le deuxième volet, pour sa part, aborde l'aspect symbolique et nomme les "caractères correspondant à l'image sociale" dont le charme, la douceur, la délicatesse, etc. (Source: Le petit Robert)
(Note éditoriale: Et il s'en trouvera pour nous dire que les mots sont neutres...)
Rassurez-vous, je ne tenterai pas de vous faire croire qu'il n'y a aucune différence entre les hommes et les femmes. Mais je fais partie de ces irréductibles qui pensent qu'à côté de certaines différences physiques et hormonales, la majorité des différences sont sociales et culturelles. Je pense surtout que la plupart des concepts qui servent à distinguer les hommes et les femmes sont réducteurs. Si le concept de virilité ne référait qu'aux attributs physiques et sexuels, on n'en ferait pas tout un plat. Quand on me dit "Il n'est pas viril..." on ne sous-entend pas qu'il bande mal. On parle d'autre chose... Mais de quoi?
Devant ce qui m'apparaît comme une attaque, ma première réaction est défensive. Je tente d'expliquer la virilité de celui qui me plaît... avant de réaliser que c'est absurde. Mes seuls arguments pour défendre la virilité d'un homme relèvent de la perception. Pour moi, il s'agit d'un phénomène purement relationnel. Un phénomène subtil. Il arrive qu'entre deux personnes se crée un espace qui, avant d'être sexuel, est, disons, sexué. Rien ne dit qu'il sera investi, mais il s'installe. En ce sens, je me sens "féminine" dans le regard de certains hommes et je sens "virils" certains hommes, dans leur interaction avec moi. Et ça n'a rien à voir avec leurs attributs objectifs. Ça concerne un "nous" et tout ce qu'on y projette, l'un et/ou l'autre...
À tort ou à raison, la sphère du désir est la seule sphère de ma vie où je tiens à ma féminité. Ni mes parents, ni mes collègues, ni mes amis, ni mes éventuels enfants n'ont à me trouver féminine... Pour faire quoi? Pour me distinguer de qui?
Pourtant, il semble que pour la plupart des gens, ces concepts n'ont rien ni d'intime, ni de relatif. Ils sont des catégories générales avec critères d'adhésion partagés en société. On dirait que, par nature, ce sont des concepts qui servent à projeter une image. Ils sont si chargés que leur utilisation dans l'intimité me paraîtrait incongrue. Il y a mieux, comme mot d'amour, que "Tu es si viril"... Même comme vocabulaire érotique, il y a franchement plus inspirant!
J'en conclus donc qu'il s'agit d'un concept au mieux inutile, au pire ségrégationniste, en ce qu'il tente de définir des critères objectifs et fermes d'identité sexuelle.
Je sais que je ne simplifie pas ma recherche, mais l'homme "de ma vie" aura tendance à hausser les épaules lorsqu'on lui parlera de virilité. (Et quand il haussera les épaules, j'aurai envie de l'embrasser.)
J'aime bien faire dans la superficialité : l'homme viril, c'est celui qui peut porter une chemise rose.
Rédigé par : JP | 09/08/2011 à 02:17
Tiens, c'est extrêmement rare que je sois d'accord avec quelqu'un sur ces délicats sujets mais pour une fois oui. Je n'aurais pas su le mettre en mots aussi bien.
Et pour avoir déjà dans les pattes un peu d'années, j'ajouterai qu'il me semble et très fort que la dernière quinzaine a vu un terrible retour des catégorisations dures et permanentes, surtout pour les femmes qu'on somme d'avoir "l'air féminines" tout le temps (avec des critères d'apparences que personnellement je trouve très contestables et pour certains très laids). Cela dit c'est assorti avec la tendance à la merchandisation (je ne trouve pas le mot) de toutes choses. Ainsi pour un emploi on ne doit plus prouver qu'on a les compétences requises, mais "savoir se vendre". Et nous voilà sommés de "gérer" notre féminité / virilité. Beurk
La phrase de conclusion fait joliment rêver.
Merci pour ce billet
Rédigé par : gilda | 09/08/2011 à 04:24
Je vous avais prévenue, mais finalement, je n'ai rien à redire ;)
Effectivement, la virilité est entre les oreilles, pas dans le caleçon. La virilité est un état d'être bien avant une caractéristique physique. Et, l'air du temps en influe le concept même ainsi que sa démonstration.
Rédigé par : Morphème | 09/08/2011 à 06:58
Très intéressant. Je pense que c'est un concept qui est aussi beaucoup lié à la confiance en soi. On ne dira jamais d'un homme qui marche tête baissée qu'il est virile. Même chose pour la femme et la féminité. Un homme qui a (ou semble avoir) confiance en lui donne l'impression d'être en pleine possession de ses moyens, autant intellectuels que physiques. Est-ce donc qu'on fait le lien inconscient entre cela et une capacité supposée à "bander comme du roc"? En ce sens, cela rejoindrait l'idée de Morphème comme quoi la virilité est entre les oreilles... de celui qui regarde.
Rédigé par : Maxime | 09/08/2011 à 08:07
J'ai manqué d'espace pour aborder cette question Maxime, mais comment fais-tu le rapport entre la perception de la virilité et celle de l'homosexualité? J'ai l'impression qu'on dissocie beaucoup ces deux termes. D'ailleurs, de cet homme dont on me dit qu'il n'est pas viril, on m'a aussi demandé s'il était gai. Des images clichées associées à l'homosexualité (effiminé, maniéré, élégant, etc...) semblent faire aussi partie de l'anti-virilité.
Rédigé par : Catherine | 09/08/2011 à 08:12
Je vois un lien entre le concept de virilité et le machisme. Dire d'un homme qu'il est viril, ce n'est pas seulement le trouver séduisant, c'est aussi lui attribuer une supériorité par rapport à la femme. L'homme viril est PLUS fort, PLUS confiant, PLUS courageux. C'est peut-être la raison pour laquelle on réserve le terme viril aux hétérosexuels: il ne peut y avoir ce jeu de pouvoir basé sur la différence de sexe dans un couple homosexuel.
Rédigé par : Sarah | 09/08/2011 à 14:06
Billet très intéressant, tout comme le lien que Sarah établi entre virilité et machisme.
Rédigé par : Marie-Josée Martin | 09/08/2011 à 20:21
@Sarah : c'est peut-être une histoire de générations (je précise que j'ai 22 ans), mais il ne me serait jamais venu à l'esprit d'attribuer le terme viril à un homme pour dire qu'il est supérieur aux femmes. "Supérieur" à un autre homme, en un sens, oui, mais pas aux femmes en général.
Rédigé par : Maxime | 09/08/2011 à 21:31
@Catherine: Je pense effectivement que l'association se fait souvent, l'un étant quasi l'antonyme de l'autre, si tu n'est pas viril, c'est que tu es homosexuel, ou encore métrosexuel. Autrement dit, si tu n'est pas le "vrai mâle", on te classe à part en utilisant une catégorie quelconque supposant un certain niveau de féminité plus développé que la moyenne des ours. Pourtant, la population gay compte son lot de d'hommes que l'on pourrait catégoriser de virils. Seulement c'est justement parce qu'ils le sont qu'ils ne sont pas identifiés comme gay : ils sont supposés hétéros. Encore aujourd'hui, pour bien des gens, il n'y a de gay que l'homme efféminé "avec des plumes dans le cul" - pour reprendre leur expression préférée. En même temps, difficile de leur en vouloir, c'est souvent ce qu'ils voient dans les parades ou les évènements gay. Difficile de comprendre, en fait, sans côtoyer un minimum la communauté gay. Et donc on associe la virilité exclusivement aux hétéros. L'homosexuel lui-même peut finir par se dire que l'herbe est plus verte chez le voisin dans sa recherche du mâle "alpha". Et c'est bien dommage.
Un stéréotype de plus finalement, qui s'oppose totalement à celui de l'homosexuel-à-plume, du moins c'est comme ça que je le vois et le vis. Heureusement, il y a en a pour regarder un peu à côté des deux gros trous tracés pour eux.
Rédigé par : Maxime | 09/08/2011 à 21:31
@maxime: Il est certain pour moi qu'il y a un lien entre virilité et machisme puisque la notion de virilité vise justement à différencier l'homme de la femme et que sa principale définition est celle de puissance, La virilité est la puissance, la féminité est la douceur selon les définitions traditionnelles. Je suppose d'ailleurs que cet intérêt soudain pour un retour de la virilité va avec cette préoccupation de la place du "vrai" gars et tout ce que ça implique de démonstration de la force physique.
Je ferais aussi un lien avec cette idée répandue que dans un couple homosexuel, il y a toujours quelqu'un qi "fait l'homme". Comprendre quelqu'un qui porte les culottes. Comme si on ne pouvait pas concevoir que deux personnes se mettent en couple sans que se reproduise une dynamique de pouvoir calquée sur le modèle tarditionnel de l'homme dominant.
Rédigé par : Catherine | 09/08/2011 à 22:56
@Catherine: À propos du lien entre machisme et virilité, je pense que de différencier l'homme de la femme est une chose, mais que de dire que l'homme est supérieur à la femme en est une autre. Dans le concept de virilité, je vois surtout la comparaison des hommes entre eux, plutôt que celle des deux sexes. Pour moi parler "d'homme dominant", c'est parler de domination sur les autres hommes. Après tout, c'est entre nous que nous nous battons pour la femme la plus féminine (ou l'homme le plus viril). C'est prouver que nous sommes le plus puissant, certes, mais parmi les hommes. Bien sûr, il y en aura toujours qui se diront virils parce qu'ils dominent leur femme (ou les femmes), mais, du moins pour moi, ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
Quant à la question de l'existence des rôles traditionnels de l'homme et de la femme dans le couple gay, j'y ai pensé en écrivant mon premier commentaire. Je pense que le lien peut exister dans certains couples : le modèle hétérosexuel étant le seul modèle visible dans la société, il est nécessairement répliqué. Mais probablement pas par la majorité. Et si tels rôles il y a, je pense qu'ils peuvent être partagés et changeants. Dans le sens où celui qui porte les culottes dépend du jour, de l'humeur de l'un et de l'autre, et de la situation. C'est dire en fait qu'il n'y aurait pas de réel rôle prédéfini.
Rédigé par : Maxime | 10/08/2011 à 14:20