Détails et dédales

J'ai 32 ans: Mon brand est mort! Vive mon brand!

Il y a tellement de «moi» différents, c'est pourquoi je résiste à l'idée d'écrire seulement sur moi, parce que cela semble me réduire à quelque chose de simple, et je ne suis pas quelqu'un de simple.
Jonathan Franzen

"Es-tu pareille dans la vraie vie?" Cette question aura marqué l'année qui s'écoule. Pas que ce soit la première fois que je passe un temps important devant mon écran, mais il y a eu dans les derniers mois une accélération, une émergence nouvelle. Les "méta-influenceurs" (lire l'ironie) appelleraient ça un brand. Nouveau blogue, nouvelle présence en ligne, nouveaux réseaux. Je ne regrette rien, mais les choses bougent vite.

Permettez-moi, donc, tout en faisant un bilan, de tuer cette notion de "vraie vie", qu'on l'enterre et qu'on n'en parle plus. Je ne suis pas plus vraie ou moins vraie en ligne ou en personne. J'ai de toute façon la conviction que nous sommes, partout, tout le temps, des personnages. Quand je dis que nous sommes des personnages, je ne veux pas dire que nous ne sommes pas sincères. Mais être en société, entrer en relations, c'est choisir de mettre de l'avant ceci ou cela, tel trait ou tel autre. Nos personnalités sont complexes, c'est pourquoi nous sommes capables d'être à la fois intègres et pourtant différents en fonction des relations que l'on noue (et du contexte où elles se nouent).

Alors, voilà: aujourd'hui, j'ai 32 ans. Que connaissez-vous vraiment de moi? Des chroniques de quelques 700 mots ou un avatar qui change un peu trop souvent? Voici tout ce que vous avez toujours voulu savoir! Ou pas...

Ce qui est plutôt vrai

• Je coupe vraiment les cheveux en quatre. Et si vous étiez passé hier, devant un resto du Plateau Mont-Royal, vous auriez tout de suite reconnu mon souper de fête: dix personnes qui parlent trop fort de l'utilité du concept de virilité. C'est vraiment ça, ma vie. C'est bien ainsi.
• Je suis vraiment une mélancolique, assez torturée, pas mal intense, qui a des envies spontanées de m'asseoir sur le bord du trottoir pour me brailler le corps quand j'entends une chanson triste (même si je ne le fais jamais, voir plus bas). Et ça, mes lecteurs le savent mieux que la plupart des gens qui me côtoient.
• Je suis vraiment une hyperactive qui fait dix-huit choses en même temps. Et qui, ma foi, les fait assez bien. (Je manque aussi vraiment d'humilité!) Alors oui, je travaille à temps plein+, j'écris ici deux fois par semaine, je tweete tous les jours activement, je tiens une liste d'emplois sur Facebook, je participe à des quiz, j'écris un (deux? trois?) bouquin, je vais au théâtre, à la danse, au cinéma, je lis les journaux et des livres. Je regarde la télé, j'écoute la radio. Et des choses encore dont je ne parle pas. Oui.

Ce qui n'est pas tout à fait faux, mais un peu

• Je pleure beaucoup moins que je le dis. En fait, je ne pleure presque jamais. C'est un talent que j'ai perdu à la mi-vingtaine. Je suis souvent émue, mais pleurer... Uniquement devant des films qui ne le méritent pas ou si vous avez été vraiment méchants.
• Je ne suis pas aussi gaffeuse que je le semble. J'insiste un peu, parce que je trouve mes gaffes charmantes. Mon trouble, il est toujours intérieur, il ne sort pas. (Par contre ma bouffe est vraiment brune souvent...) 
• Je ne drague pas. Jamais (ou presque). Pourquoi j'ai l'air d'une fille qui drague en ligne? Je n'en sais rien. On dirait que s'éveille un comportement fantôme (comme on dirait un membre fantôme après une amputation). Quelque chose qui vient du passé et qui tiraille. Une certaine répartie qui peut sans doute être confondue avec un jeu de pieds virtuel. Mais non: je ne bats pas des cils, je ne joue pas du coude. (Et je n'aime pas les journalistes TANT que ça, même si l'idée que je sois une cheerleader me fait bien rigoler.)

Voilà, je n'ai plus vraiment de secrets pour vous! 

Évidemment, certains supputeront que la "fille sans mystère" est sans doute le plus faux de mes personnages. Ça va de soi! Mais souvent ce sont les autres qui ont les clés pour comprendre, derrière les voiles, ce qui relève de la plus sincère des radicalités.

Merci d'être attentifs. Votre écoute me permet chaque jour de mieux devenir.

La timidité du corps

Je dis timide, mais je devrais dire nerveuse. Je suis une "traqueuse". Une fois réchauffée, je prends le plancher, mais il faut d'abord traverser le miroir. Et ça, chaque fois, c'est un petit moment à frôler l'impression du néant. Ce qui m'a frappé récemment, c'est que cette crainte s'exprime toujours par le corps. "Je vais m'enfarger en rentrant dans le café, et me casser les deux palettes...", "Qu'est-ce qu'ils vont penser de ma coupe de cheveux (ou de mon absence de)...". Je pue, j'ai chaud, j'ai du poil, je ne me suis pas brossé les dents depuis une heure, mes lunettes sont sales. Damn!

Et surtout, l'infatigable, l'indémodable litanie: "Qu'est-ce que je vais porter?" Tous les tracs du monde finissent par se résumer à ce plus petit - très petit - dénominateur commun: il semble bien que je n'ai rien dans cette garde-robe (qui frôle pourtant l'infini absolu) qui soit approprié pour ce moment où je m'apprête à plonger. Vers l'autre.

En cette semaine pré-anniversaire, je semble préoccupée par ce qui relève des cicatrices d'enfants. J'ai parlé de la peur d'être grondée plus tôt cette semaine. La peur du rejet est une proche voisine. Et elle s'inscrit dans une lucidité, que j'avais déjà enfant, pour décrypter l'hypocrisie sociale.

L'hypocrisie, c'est celle qui nous fait répéter que l'apparence n'a pas vraiment d'importance même si nous savons tous que c'est faux. Catherine Perrin, à l'émission Médium Large, discutait cette semaine d'une étude qui s'intéresse au lien entre beauté et réussite professionnelle. Or, au-delà du poids santé et des traits harmonieux, dans "beauté" il y a aussi charisme. Et style, et look, et façon de s'habiller. (Et coupe de cheveux, maudite marde...)

Quand j'avais six ans et que le contact social était cette chose violente que j'apprenais mal, je pleurais souvent en parlant des "filles qui se prennent pour des fraîches". Fabuleux mot d'enfant quand on y pense. Elles ne se contentaient pas d'être pédantes, elles se prenaient pour. J'ajoutais une impression de faux à ce qui me semblait déjà faux. Comme si j'assumais que leur assurance n'était que de l'effet de manche et que, fondamentalement, elles n'avaient rien de plus que moi.

Mais il n'est pas tout à fait vrai de dire qu'elles n'avaient rien de plus... Elles s'habillaient chez Jacob. Au début des années 80, dans une école primaire, Jacob était la quintessence du style et du goût. Il fallait s'habiller chez Jacob pour se prendre pour une fraîche. Instinctivement, je les méprisais déjà de leur conformité, mais en les enviant pourtant. Parce que si je ne m'habillais pas chez Jacob, ce n'était pas seulement parce que ma mère était couturière ou que nous n'avions pas tellement les moyens. C'était aussi parce que, déjà à cet âge, rien ne me faisait chez Jacob.

Les filles qui se prenaient pour des fraîches étaient pour moi des filles normales. Et j'associais cette normalité à leur apparence, sans doute incapable à l'époque de comprendre que si je me sentais si différente, c'était bien plus une question de fond qu'une question de forme.

Il est fascinant de constater que même adulte, cette insécurité du corps trouve le moyen de percer toute ma belle et grande confiance chèrement acquise. Tellement que tout en me dirigeant d'un pas décidé vers quelqu'un pour lui serrer la main, j'ai une soudaine, ultime, secrète, dernière pensée pour mon chandail peut-être taché... Avant que tout ça s'évanouisse dans un sourire et deux ou trois phrases bien tournées.

Nous ne saurons donc jamais vraiment si ces filles qui se prenaient pour des fraîches me regardaient de haut parce qu'elles me trouvaient mal habillée ou si c'est seulement moi qui avais le sentiment d'être à genoux. Comme dans toute dynamique malsaine: sans doute un peu des deux.

Finalement, une des belles choses qui distingue la vie adulte d'une cour d'école, c'est que nous sommes absolument libres de choisir avec qui nous souhaitons jouer.

J'avoue un faible pour les gens un peu dépeignés.

Écrire et assumer

Les gens qui disent qu'ils sont terre-à-terre, ils ne savent pas que ce qu'ils pensent de la vie, c'est leur propre fiction.
Dany Laferrière (Correspondances d'Eastman)

Pendant mes vacances, une vieille connaissance me parlait de ma peur panique de me faire chicaner quand j'étais enfant. En vieillissant, elle s'est transformée en peur du débat. Jusqu'à tout récemment j'étais convaincue que dès qu'on me contredisait, on ne m'aimait plus. Certaines amitiés aidant, les réseaux sociaux me fortifiant, j'ai appris qu'on peut être en désaccord, le dire avec du muscle, et pourtant se respecter. S'aimer même.

Bien entendu, il y a des sujets sur lesquels aucun compromis n'est possible, un petit cercle de valeurs fondamentales qui ne tolèrent pas de désaccord. Mais à ces quelques exceptions près, j'accepte maintenant de débattre. Il le faut pour ma liberté et pour mon envie de m'exprimer. Mais ça ne veut pas dire que je vis bien avec ça. Pas toujours.

Ce qui est surtout difficile, c'est d'admettre les critiques de ceux qui ne comprennent pas ma démarche. C'est un défi de discuter avec des gens qui ne partagent pas les mêmes prémisses. Ma prémisse, c'est qu'une large part de la "réalité" est une construction sociale qu'une série de filtres (vocabulaire, culture populaire, pubs, médias, discours politiciens, discours scientifiques, etc.) contribuent à former, à déformer, à reformer. Tout ce qui m'intéresse (au plan sociologique et au plan psychologique) c'est l'influence de ces filtres. Nous contribuons tous à les reproduire ou les contredire, mais plus notre public est grand, plus nous sommes des agents multiplicateurs. De là mon intérêt pour les phénomènes de masse et le journalisme.

De là aussi, ma passion pour la déconstruction des concepts qui sont pris pour acquis (la virilité par exemple) et ma difficulté avec toutes les explications fermées ("c'est ça qui est ça" et autres "tu ne peux pas nier que ça existe").

De là ma tendance à me situer à un autre niveau du débat. Je n'étais pas en désaccord avec l'essence de ce que tentait de dire Stéphane Laporte ce week-end. J'étais en désaccord avec sa façon de procéder. Ce que je critiquais, c'est son acte journalistique que je trouvais sans nuance. Bien des gens ne m'ont pas comprise...

Dimanche, j'ai eu le sentiment de me lever avec une gueule de bois. Tout ça pour deux ou trois critiques frontales. Ça m'a blessée. Une blessure d'enfant irrationnelle: "Comment peut-on aussi mal me comprendre?". Ma première réponse est toujours que si on me comprend mal c'est que je suis nulle. Si j'étais bonne, on me comprendrait, non?

Mais quand l'adulte reprend le pas sur l'enfant irrationnelle, je sais que, souvent, c'est ma démarche que les gens ne comprennent pas (ou ne veulent pas comprendre). J'interroge le langage et le discours et pour la plupart des gens, c'est un geste inutile, une question de trop. Le langage, c'est une perte de temps (des mots pour des mots). Or, ceux qui ont appuyé le texte de Stéphane Laporte reprochent aux politiciens de parler au lieu d'agir, il est normal qu'une interrogation sur les nuances du langage leur paraisse superflue. D'autant plus que si je ne suis pas à l'aise avec son texte, c'est nécessairement que je suis contre, non? Nous sommes si habitués à tout comprendre en noir et blanc.

Je n'ai jamais dit que Stéphane Laporte a tort sur toute la ligne, mais dans ses images chocs, ce texte, selon moi, conforte les citoyens dans leur désengagement et leur rapport clientéliste à la classe politicienne. Et les citoyens, fatigués, aiment ce discours qui les déresponsabilise. De là mon impression que le chroniqueur faisait exactement ce qu'il dénonce en flattant son lectorat dans le bon sens.

Avant que l'adulte reprenne le dessus, dimanche matin, l'enfant irrationnelle (et blessée) a écrit une lettre à quelqu'un qui connaît l'écriture et qui connaît la critique. Quelqu'un qui a l'air de toujours savoir accueillir l'adversité la tête froide. Je (enfant) lui ai demandé: "Comment tu fais? Comment tu fais pour te lever tous les matins et écrire sans avoir besoin que tout le monde t'aime."

L'adulte en moi trouve ça bien laid le consensus, mais il y a cette enfant qui veut juste qu'on la comprenne. Choisissant la vie d'adulte (qui écrit, qui assume), me reste à vivre avec mes cicatrices. Et me rappeler que plus personne, aujourd'hui, n'a le pouvoir de me chicaner.

La démagogie n'est pas que politicienne

Stéphane Laporte, dans sa chronique de samedi, voulait souligner qu'on se fait un peu emberlificoter par des politiciens qui, en multipliant les consultations publiques, espèrent calmer la grogne populaire. Par le fait même, ça nourrit un système politique plus clientéliste (et populiste) que jamais, qui distribue les bonbons en échange d'autant de votes. Le chroniqueur demande aux politiciens de mettre leur culotte et de dire leurs vraies idées. Son point de départ: l'annonce en cascade d'une série de consultations (plusieurs dans la foulée de l'implosion du mouvement souverainiste).

Ça c'est ce qu'il voulait dire je pense. Alors pourquoi ne l'a-t-il pas dit simplement au lieu d'intituler son article "Arrêtez de nous consulter!" en multipliant les raccourcis sémantiques? Peut-être parce que "électorat" et "lectorat" sont finalement des mots qui s'agencent bien et que la démagogie n'est pas que politicienne.

Reprenons.

Stéphane Laporte estime que ce que "veut" la population est simple et se résume à "santé, prospérité, paix". Voilà du concept objectif et consensuel qui permet de bâtir un beau plan de société. À vous, politiciens, de trouver les moyens d'y parvenir affirme-t-il, sachant bien entendu que la notion de "paix" est la même pour un immigrant tout juste débarquer de l'Asie du Sud-Est, un habitant du Plateau et un autre de St-Georges-de-Beauce... Paix donc. Et prospérité, et santé.

Et quelle part d'un budget gouvernemental doit aller à la culture pour atteindre ses objectifs? Aux politiciens de choisir. (Et nous accepterons!) Et qu'arrive-t-il si deux de ces grands objectifs rentrent en contradiction, prospérité (individuelle) et santé, par exemple? Si on conclue aux hausses d'impôt nécessaires pour le système de santé, le citoyen sera-t-il satisfait? Comment assurer une meilleure intégration des immigrants? Entre chaque élection, nous laissons les politiciens choisir.

C'est que nous, voyez-vous, selon Stéphane Laporte, nous n'avons pas le temps d'être consultés puisque nous sommes occupés à reconduire nos enfants à la garderie. Et là vous êtes (et serez nombreux) à me dire: mais ce n'est pas ça qu'il voulait dire! Le problème, c'est que c'est ça qu'il a écrit. Noir sur blanc. "Le citoyen a d'autres choses à faire que de se faire consulter. Il se lève, il va conduire les petits à la garderie..."

Il ajoute même dans une comparaison (bancale), qu'on ne veut pas que le médecin nous consulte sur comment nous soigner, on veut qu'il nous soigne. (Personnellement, j'aimerais bien qu'il me consulte de temps en temps, mais passons...) Comparaison bancale parce que "député" n'est pas un emploi, mais une fonction. Le député n'est pas supposé être un politicien de métier, il est un citoyen qui a un rôle représentatif. Et si le système est devenu si clientéliste, c'est justement parce que ça arrange bien du monde que "politicien" soit devenu un métier. Que l'élection soit devenue une embauche. Stéphane Laporte dans sa chronique met une pierre à ce qu'il dénonce: les processus démocratiques comme apparence de démocratie.

Y a-t-il une overdose de consultations publiques bidons? Certes. Mais pas une fois, dans cet article, il n'est question de consultations qui ne servent à rien. Toutes les consultations sont dans le même panier. L'acte même de consulter est mis au pilori. "Gouvernez, merde!" qu'il veut leur dire. (Et peu importe si certaines des consultations qu'il évoque ne sont pas menées par des élus, nous ne sommes pas à une nuance ratée près.)

Vous savez ce que ça me rappelle? Ça me rappelle le slogan maintes fois répété par Jean Charest lors de sa première élection: "Plus jamais de référendum". Au nom d'une phrase minute qui s'insère bien dans un topo média, on jetait aux orties une des institutions centrales de notre démocratie. Mais ça sonnait tellement bien.

De là à affirmer que certains chroniqueurs sont prêts à gommer bien de la nuance en échange d'une phrase qui punch, il n'y a qu'un pas.

On les excusera en se disant que c'est l'époque qui veut ça!

De l'impudeur d'être soi

"L'anecdote et l'expérience, ce n'est pas la même chose." C'est dans le cadre enchanteur des Correspondances d'Eastman qu'Hélène Dorion a lancé cette phrase qui m'a rejointe dans un recoin de moi qui doute. (Quelques recoins de moi doutent, en effet, et je soupçonne avoir plus de quatre coins. Mais ce n'est pas scientifiquement prouvé.)

On m'a souvent reproché d'être impudique. C'est sans doute vrai. J'ai peu de pudeur des sentiments. Les mots me font rarement peur. Les émotions non plus. Quand quelque chose chatouille un peu, j'aime mieux gratter. J'ai la conviction qu'on cicatrise mieux quand une plaie est libérée de son pus. Et autant j'aime un certain silence, autant les omertà me puent au nez.

J'ai pourtant des limites et l'impudeur qui me choque est souvent celle de l'anecdote. Je peux parler de sexualité facilement, mais je n'aime pas trop qu'on me raconte les détails d'une histoire de cul. (Traumatisée par les filles au bac qui discouraient de la taille de l'engin du mec rencontré le week-end!) Les détails des histoires des gens m'intéressent moins que leurs affects et leurs réflexions. (Comme les histoires m'intéressent moins que la poésie du verbe dans un roman...)

Dans le passé, j'ai publié sur mon ancien blogue des textes que je regrette. Les regrets sont toujours de deux ordres: 1- si j'ai utilisé mon blogue pour passer des messages personnels (ce qui revient à prendre les lecteurs en otage) ou 2- si je me suis laissée dériver dans l'anecdote.

Je n'ai aucun regret quant à ce que j'ai publié sur le site que vous lisez présentement, mais j'ai parfois hésité: est-ce que je parle du corps? est-ce que je parle du suicide? est-ce que je laisse telle chute, très efficace, mais qui dit sans doute plus de moi que bien des textes de 800 mots?

Si j'avance, c'est généralement qu'à la manière d'Hélène Dorion, j'ai des raisons de croire que l'intime rejoint le lecteur dans sa réalité, que l'intime peut être universel. Parce que si je sais magnifier la question du corps au-delà de l'anecdote, ce n'est pas de mon corps dont il sera question, mais du vôtre. Et comme tout me pousse à croire que vous n'êtes pas si bien que ça avec le vôtre...

L'anecdote doit devenir un tremplin pour parler de l'expérience. Ce que j'ai envie de partager, c'est mon regard sur le monde. Si je charge mes mots de qui je suis, c'est que c'est bien tout ce que j'ai. Ainsi, je tente de prouver, comme cela à souvent été dit, qu'écrire à la première personne, ce n'est pas toujours parler de soi. (Du moins, ce n'est pas uniquement cela.)

Cette réflexion d'Hélène Dorion répondait à une question de l'animateur, Tristan Malavoy-Racine: "Vous arrive-t-il de charger un mot de quelque chose de si intime que vous craignez de perdre le lecteur?" La réponse d'Hélène Dorion me pousse à croire que le lecteur sera perdu si le mot est chargé d'anecdotes, mais qu'il adhérera si le mot est chargé d'expériences.

Quelques jours plus tard, une amie m'appelle comme je me dirige vers chez elle: "Pourrais-tu arrêter dans une quincaillerie chercher du charbon?" Devant le flottement, elle ajoute: "Des briquettes de charbon, pour le BBQ." La scène a duré quelques secondes. Je n'ai pas compris sa demande la première fois. Quand on me dit "charbon" je pense urgences et lavement d'estomac. Toujours. "Charbon" n'est plus rien d'autres pour moi qu'un pharmakon, à la fois antidote et poison. Un mot chargé puissance dix (de honte, de culpabilité, de douleur, etc.). Un mot dégueulasse: l'ensemble d'une plage sur la langue.

Ici, le mot "charbon" ne peut pas suffire pour traduire l'expérience puisque le sens que je lui donne est réservé aux tristes initiés. Il faut sublimer l'anecdote. Il faut savoir dire la suie qui te sort de partout, fossilisant, au passage, tout le mal que tu t'es souhaité. Il faut savoir dire la prégnance du sentiment d'être en vie. Sentiment perçu comme une nouveauté. Comme un inédit.

Il faut savoir dire, finalement, tout ce qu'il y a dans cet épisode qui dépasse mon histoire et qui parle aussi de vous. Méchant défi... Mais c'est à ce prix, seulement, qu'on quitte la conversation pour entrer dans la littérature.

Tourne la page

Nous sommes le 15 août. Aujourd'hui, comme chaque 15 du mois depuis près de quatre ans, l'équipe de La Recrue du mois publie ses impressions sur un premier roman ou recueil de nouvelles québécois. Ce projet a vu le jour par la volonté d'une blogueuse, Carole Beaudoin. J'y ai été dès le début. J'ai contribué aux nombreuses moutures du projet et dès la deuxième année, j'ai accepté d'assumer un certain leadership. Depuis, on m'a nommée rédactrice en chef (!)... et les membres de l'équipe me vouvoient...

Bien sûr que non. C'est un projet qui a tenté de se développer sans grande hiérarchie et notre défi a toujours été d'offrir le meilleur produit possible sans jamais nous prendre pour des professionnels ou croire que quoi que ce soit nous était dû.

Aujourd'hui, je signe ma dernière contribution à ce projet qui m'a tenu à coeur pendant plusieurs années. Comme d'autres projets que j'ai contribué à lancer sur le Web (je pense aux Impromptus Littéraires qui survit encore) ou auxquels j'ai participé, il arrive un moment où il faut tourner la page. Mes nouvelles obligations professionnelles me poussent à m'éloigner d'un rôle critique. En plus, les derniers mois m'ont prouvé que s'il y a une chose dont j'aime faire la critique... c'est surtout le travail des critiques eux-mêmes!

Depuis son passage en mode webzine il y a un an, l'équipe de la Recrue du mois a bûché plus que jamais pour offrir un produit de qualité. Nous avons diversifié nos contributions, multiplié le nombre d'ouvrages couverts et assuré un meilleur contrôle qualité. L'objectif reste le même: offrir une visibilité à des auteurs qui en ont souvent très peu.

Ces quatre années à la Recrue m'ont permis d'observer la relève littéraire québécoise de près et de constater que, dans la plupart des cas, la résonance médiatique de leurs ouvrages est à peu près nulle (à moins que l'auteur d'un premier roman soit déjà un personnage public: chanteuses, journalistes, animateurs, etc.). Sinon, quelques exceptions (comme Perrine Leblanc cette année) confirment la règle (ie le silence radio).

Ce qui est surtout frappant dans la couverture médiatique littéraire c'est qu'on parle beaucoup, partout, des mêmes livres. Marie-Louise Arsenault le soulignait d'ailleurs dans un entretien récent avec Nathalie Collard en dénonçant le phénomène des "run de lait". Quand Les imperfectionnistes de Tom Rachman est sorti l'hiver dernier (et je prends un exemple non-québécois exprès) toutes les émissions culturelles l'ont présenté. Or, contrairement aux films, des livres il en sort plusieurs dizaines chaque mois... Pourquoi cette uniformité?

Certains diront que quand un buzz émerge, tout le monde veut en faire partie. Certes... Il est vrai aussi que quand un livre très attendu sort (le dernier Michel Tremblay ou le dernier Paul Auster), on peut supposer que les lecteurs, les auditeurs et les téléspectateurs s'attendent à en retrouver une critique ou un compte-rendu dans leurs publications ou leurs émissions préférées. Le manque d'espace est évidemment un problème en soi: il faut faire des choix. Mes pourquoi les choix sont-ils consensuels?

Plus tôt cette année, Yves Nadon s'est étonné du peu de place fait à la littérature jeunesse. Que dire de la poésie? Du théâtre? Que dire des auteurs franco-canadiens (pour me permettre une incartade dans ma vie professionnelle)?

Je quitte la Recrue du mois avec l'impression d'avoir fait oeuvre utile et de laisser un site non seulement en santé, mais entre bonnes mains. Pourtant, je constate que le principal objectif atteint n'est pas celui qu'on visait. Ce site fait surtout plaisir aux auteurs (surtout s'ils obtiennent de bons mots, bien entendu...), parfois à leurs éditeurs. Ce n'est pas un objectif inutile, loin s'en faut. Mais même après quatre ans, le défi reste entier: comment attirer l'attention sur nous pour attirer l'attention sur les auteurs que nous mettons en lumière?

L'équipe travaillera comme jamais dans cette optique dans les prochains mois avec Lucie Renaud comme rédactrice en chef. Non seulement je leur souhaite la meilleure des chances, mais je les suivrai avec beaucoup d'attention. C'est qu'en plus d'être une vitrine pour les auteurs qui en sont à leurs premières armes, la Recrue devient petit à petit un lieu rempli d'archives pour ceux qui s'intéressent à la littérature d'ici.

Longue vie. (Et merci)

Généra(lisa)tion

Bien que j'admette qu'il puisse être utile, quelque chose m'agresse dans le concept de génération. Pour faire vite, on pourrait dire que c'est la généralisation qu'il implique souvent qui m'horripile.

Dans le cadre de l'important débat sur l'éducation collégiale qui a eu lieu ce printemps au Québec, une des lettres publiées par des enseignants traitait des jeunes de la génération actuellement au cégep qui n'ont aucun sens de l'échec. Aucun sens de l'échec?! Comment un être humain (avec une santé mentale à peu près normale) pourrait n'avoir aucun sens de l'échec? Nous avons tous des angoisses qui se creusent comme des failles, des failles dans lesquelles nous nous prenons les pieds plus souvent qu'autrement. Nous avons tous vécu, à des degrés divers, rejet, frustrations, privations, colères, compétition, etc.

Mon malaise face aux théories générationnelles vient du fait que nous détournons un concept sociologique qui devrait être utilisé avec parcimonie pour en faire un concept psychologique avec lequel on tartine tout et n'importe quoi. En témoigne d'ailleurs cet acharnement avec lequel on s'obstine sur les dates du baby- boom pour savoir si telle ou telle personne en fait partie. Comme si d'être né en 1944 ou en 1946 changeait fondamentalement quelque chose à votre ADN ou à vos valeurs.

Le concept de génération détermine des tendances, il peut mettre en lumière des dynamiques sociologiques ou permettre de dresser un portrait de l'air du temps. Il est déplorable d'utiliser les concepts générationnels pour faire une analyse psychologique "Elle est ainsi, c'est une X", "Il agit comme ça, c'est que c'est un Y". Déplorable et absurde.

Mais est-ce vraiment surprenant? Le tout à l'individu et au vécu tant à nous faire «psychologiser» n'importe quoi et à centrer toute analyse sur l'expérience individuelle. C'est entre autres ce qui rend la pensée féministe si difficile. Il n'y a plus moyen de tenir un discours qui s'inscrive dans l'analyse de phénomènes sociaux, il y a toujours quelqu'un pour vous répondre "Moi, il est gentil mon chum." Même phénomène avec le concept de classes sociales rendu quasiment caduque à l’ombre du rêve américain où, comme le soulignait si bien Patrick Lagacé cette semaine, on a convaincu les gens qu’ils sont les seuls responsables de leur sort. Or, la première règle lorsqu'on analyse des phénomènes sociaux, c'est de comprendre qu'un tout n'est pas seulement l'addition de ses parties. Ce n’est pas parce que les hommes sont gentils que le patriarcat n’a pas de poids, ce n’est pas parce que certains individus sortent du lot qu’il n’y a pas d’atavismes de classe.

Chose certaine, tout le monde vit douleur/échec, tout le monde est déchiré entre institutions et liberté, tout le monde évolue dans une quête de sens, d'identité, de valeurs. Il serait absurde d'assumer qu'il y ait plus ou moins de ces mouvements fondamentaux chez l'une ou l'autre génération, même s'ils se vivent et s'expriment différemment, même si chaque individu ne les pense pas avec la même acuité.

Cette réflexion est devenue nécessaire après qu’un café littéraire aux Correspondances d’Eastman nous ait gratifiés de tous les clichés sur l’envahissement des technologies qui minent la liberté de la nouvelle génération. Comme si les générations précédentes n’avaient pas été envahies par la foi, par les idéologies, par les institutions rigides, etc. Or, ce premier niveau d’analyse, me semble cohérent bien que je ne partage pas à 100% ce point de vue. Ça se gâche quand, inévitablement, la discussion générationnelle conclut à un effritement de valeurs et porte des jugements sur les jeunes de cette génération, soudain considérés comme des handicapés du sens.

Ainsi, parce que coincés dans le rythme effarant de la technologie, les jeunes d’aujourd’hui seraient à la fois victimes et agents de notre chute, un peu considérés comme des aliénés qui ne sauront pas prendre le temps de la réflexion. Temps, il est vrai, dont ont amplement profité leurs parents ainsi que le prouvent la prolifération des centres d’achat, l'explosion des théories psychopop et la dictature de la tourbe…

De la virilité (et autres concepts conséquents)

Parfois, tout le monde vous parle de la même chose au même moment et ça sonne des cloches. On pourrait dire que les cloches s'alignent (comme on dirait les astres s'alignent). Un voisin de restaurant explique à sa conjointe que les bonbons rouges ne sont pas très masculins. Sur Twitter, quelqu'un demande à la blague: "Est-ce possible pour un gars de boire un verre de rosé sans se sentir attaqué dans sa virilité?" Depuis quelque temps, chaque fois que je parle d'un homme que je trouve assez beau-et-charmant on me souligne qu'il n'est pas très viril. Ah bon... J'avais l'habitude des regards décontenancés lorsque je parlais de certains "hommes laids" (pas laids du tout, mais bon...). Voici qu'on m'accuse de donner dans la non-virilité.

Réalisant que je ne comprends pas grand chose à ce concept, j'ai fait une petite recherche. La définition se décline en deux volets: l'un qui réfère aux attributs physiques et sexuels de l'homme, l'autre à la symbolique qui s'y rattache. On y parle d'énergie, de puissance et, plus spécifiquement, de puissance sexuelle.

J'ai vite réalisé que je ne pourrais pas aller plus loin si je ne m'intéressais pas davantage à la féminité. Dans ce cas, la définition n'évoque pas d'attributs physiques et sexuels, mais uniquement des "caractères propres à la femme". Le deuxième volet, pour sa part, aborde l'aspect symbolique et nomme les "caractères correspondant à l'image sociale" dont le charme, la douceur, la délicatesse, etc. (Source: Le petit Robert)

(Note éditoriale: Et il s'en trouvera pour nous dire que les mots sont neutres...)

Rassurez-vous, je ne tenterai pas de vous faire croire qu'il n'y a aucune différence entre les hommes et les femmes. Mais je fais partie de ces irréductibles qui pensent qu'à côté de certaines différences physiques et hormonales, la majorité des différences sont sociales et culturelles. Je pense surtout que la plupart des concepts qui servent à distinguer les hommes et les femmes sont réducteurs. Si le concept de virilité ne référait qu'aux attributs physiques et sexuels, on n'en ferait pas tout un plat. Quand on me dit "Il n'est pas viril..." on ne sous-entend pas qu'il bande mal. On parle d'autre chose... Mais de quoi?

Devant ce qui m'apparaît comme une attaque, ma première réaction est défensive. Je tente d'expliquer la virilité de celui qui me plaît... avant de réaliser que c'est absurde. Mes seuls arguments pour défendre la virilité d'un homme relèvent de la perception. Pour moi, il s'agit d'un phénomène purement relationnel. Un phénomène subtil. Il arrive qu'entre deux personnes se crée un espace qui, avant d'être sexuel, est, disons, sexué. Rien ne dit qu'il sera investi, mais il s'installe. En ce sens, je me sens "féminine" dans le regard de certains hommes et je sens "virils" certains hommes, dans leur interaction avec moi. Et ça n'a rien à voir avec leurs attributs objectifs. Ça concerne un "nous" et tout ce qu'on y projette, l'un et/ou l'autre...

À tort ou à raison, la sphère du désir est la seule sphère de ma vie où je tiens à ma féminité. Ni mes parents, ni mes collègues, ni mes amis, ni mes éventuels enfants n'ont à me trouver féminine... Pour faire quoi? Pour me distinguer de qui?

Pourtant, il semble que pour la plupart des gens, ces concepts n'ont rien ni d'intime, ni de relatif. Ils sont des catégories générales avec critères d'adhésion partagés en société. On dirait que, par nature, ce sont des concepts qui servent à projeter une image. Ils sont si chargés que leur utilisation dans l'intimité me paraîtrait incongrue. Il y a mieux, comme mot d'amour, que "Tu es si viril"... Même comme vocabulaire érotique, il y a franchement plus inspirant!

J'en conclus donc qu'il s'agit d'un concept au mieux inutile, au pire ségrégationniste, en ce qu'il tente de définir des critères objectifs et fermes d'identité sexuelle.

Je sais que je ne simplifie pas ma recherche, mais l'homme "de ma vie" aura tendance à hausser les épaules lorsqu'on lui parlera de virilité. (Et quand il haussera les épaules, j'aurai envie de l'embrasser.)

Au royaume des enfants rois

Quand j'étais enfant, on disait beaucoup de choses sur moi dans les médias. J'étais de cette génération de parents divorcés qui avaient donné deux noms à leurs enfants. (J'ai été bien surprise, d'ailleurs, d'apprendre qu'on pouvait avoir deux noms sans qu'ils riment. J'avais toujours été convaincue qu'il fallait rimer, comme dans Voyer-Léger.) On disait que nos enfants allaient porter quatre noms de famille et que ça n'aurait pas de fin et que vraiment "où va le monde"... Le nombre de conneries qui se dit...

On disait aussi que nous étions des enfants rois accompagnés de nos "parents sujets". Surtout si nous étions uniques. Tout le monde sait que les enfants uniques sont mal élevés et gâtés pourris. L'enfant unique était présenté comme un fléau, un danger. Un enfant unique ça ne pense qu'à soi (et surtout à ses affects). Je suis donc de cette génération d'enfants insupportables élevés par des parents qui n'ont pas osé mettre de limites. Au moins, les générations qui ont suivi ont gardé tous les mêmes défauts que nous et plus encore (eux, ils sont pervertis par la technologie). Je dis "au moins" parce qu'au plan individuel ça me rassure de savoir qu'on a pu faire pire que nous, même si au plan social ça annonce une méchante catastrophe...

Je pensais à ça l'automne dernier lorsque ma mère était malade et que je faisais des allers-retours entre Ottawa et les Hautes-Laurentides, le téléphone branché dans l'oreille, la route d'automne sous les roues, l'organisation événementielle qui me poussait le derrière au bureau. Les obligations financières, les échéances de ma mère travailleuse autonome, les discussions avec des médecins, la recherche de solutions. Je me disais qu'une bonne chose au moins, c'est que les enfants rois ne sont pas rigides et qu'ils ont une certaine capacité d'adaptation. Parce qu'ils vont avoir besoin de quelques mégatonnes de souplesse pour gérer ce qui s'en vient: le vieillissement du royaume.

J'ai fait beaucoup de route pendant ces quelques jours d'automne (heureusement, rien de trop grave). Je me suis demandée ce qui arriverait si ça se reproduisait, et que la même chose arrivait à mon père en même temps (bien que du côté de mon père nous soyons deux). J'ai aussi pensé à cet enfant que je souhaiterais avoir seule si ma vie ne se décide pas à se jouer en duo. Je me suis vue, dans cinq ans, mère monoparentale avec deux parents qui vieillissent doucement. J'ai eu un essoufflement passager, comme un petit coup de chaleur.

Parce que si nous admettons l'hypothèse de la génération des enfants rois... Si nous admettons que c'est vrai que nous avons tout eu. Vrai que nos parents n'ont fait rien d'autres toutes ces années que de se déchaîner pour nous. Vrai qu'on a été tellement gâté qu'on est devenu des adultes égocentrés et mous qui estiment que tout leur est dû. Si nous admettons que c'est vrai, je vous annonce que le party est bientôt fini. Parce que nos parents vieillissent et que nous serons seuls au royaume.

Seuls à prendre soin. Seuls à payer parfois, même s'il est si incorrect d'en parler. Seuls à gérer surtout, les déplacements, les déménagements, les complications, la maladie, etc. Je ne dis pas que je ne ferai pas tout cela de bon coeur (même si je suis une enfant unique égocentrée!), mais je constate que je suis seule et je ne me rappelle pas qu'on ne m'ait jamais prédit ça. Seule devant la perte aussi, puisqu'il semble qu'un jour ils partiront.

J'ai repensé à tout ce que la télé disait de moi quand j'étais enfant. Que je ne saurais pas partager, que je ne penserais qu'à moi, que je n'aurais jamais appris à vivre avec les autres, que je ne serais pas autonome, que je ferais chier tout le monde avec mes exigences... Toutes ces généralisations générationnelles (ces deux mots se ressemblent trop!), psycho-pop avant l'heure, m'avaient convaincue que "les choses étaient tellement mieux avant" (dans le temps des grandes familles qui formaient des enfants généreux).

Avec le recul, je réalise qu'un enfant roi, c'est surtout un enfant seul. Un enfant qui a sans doute reçu beaucoup, mais qui un jour, devant des "sujets" vieillissants, devra constater qu'il est bien peu entouré.

 

Bulletin de la critique et de la chronique - juillet 2011

Bulletins précédents: février 2011, mars 2011, avril 2011, mai 2011, juin 2011

CHRONIQUES:

Meilleure chronique: David Desjardins signait récemment une chronique sur l'été. Un moment de littérature dans les pages du Voir Québec. Et pour conclure, il dédiait le tout: "À ceux et celles qui savent que pour goûter quelque chose, il faut avoir l'amour du risque." J'étais seule, étendue dans le grand lit d'un gîte de Québec quand j'ai lu ça. J'ai pensé que David Desjardins est le seul chroniqueur québécois qui me touche directement au fond, quelque part derrière une série de protections que les années multiplient. J'ai pensé à plein d'autres trucs aussi, mais je ne vous dirai pas quoi, justement parce que ça se passe au fond. Derrière.

CRITIQUES:

Meilleure critique: Je ne sais pas si c'est parce qu'il a utilisé le concept de "palette chromatique" pour évoquer ce qu'elle suggère, ou simplement parce qu'il a pris la peine de nous parler d'un artisan dont on parle rarement dans les critiques (ici le directeur photo de Starbuck, Pierre Gill), mais j'ai comme eu un frétillement d'enthousiasme en lisant ce papier de François Lévesque et l'envie de dire "Encore!"

Moment de radio: C'est vers la 45ième minute de la 2e partie de l'émission du 23 juillet: Manon Dumais et Michel Coulombe... mime/imite/parodie Christopher Williams. Sourires garantis. (Je crois que c'est ce qu'on appelle de la critique incarnée.)

Métaphore du mois: Voici mon moment fairplay. Comme j'ai déjà reproché à Fabien Deglise d'abuser un peu de métaphores, je reconnais que dans sa critique du spectacle d'Arthur, il dégaine vite et bien: "...comme une odeur de cannelle au final d'une balade dans un magasin IKEA." Très drôle!

Moment chouchou: J'ai toujours bien aimé Philippe Papineau, mais son passage au Festival d'été de Québec restera un moment d'anthologie de twitage en direct. Le médium étant sans doute une partie du message (n'est-ce pas!?), Philippe Papineau s'est révélé plus drôle, caustique, irrévérencieux (et accro à Twitter) que j'aurais pu le croire. Certains tweets du spectacle de Metallica resteront dans la légende, à commencer par: "Plus tôt, un VIP me dit «T'es de quel média toé». Le Devoir «S't'un journal de snob pis vous allez voir Metallica?». Ça arrive qu'on décoince" Pour lire la "vraie" critique du journal de coincés.

MES ÉDITOS:

Débat du mois: À n'en pas douter, la querelle autour du Québec (ou non) anti-intellectuel aura marqué le premier tiers du mois de juillet sur les médias sociaux. Déclenché par une chronique de Patrick Lagacé rapportant une entrevue que Wajdi Mouawad a donné en France en 2009, le débat a pris une autre tournure lorsque Marc Cassivi a répondu à son collègue avant que Patrick Lagacé en remette le même jour sur son blogue. L'emballement a suivi. Notons la participation étoffée de Jean-François Lisée (team Lagacé), celle de Judith Lussier (team Lagacé). Celle de Benoît Melançon (team Cassivi) et la mienne (team Cassivi aussi). Ce n'est pas un débat nouveau, ce n'est pas un débat fini... J'ai pourtant été frappée par de nombreux commentaires qui réglaient la question en traitant de snobs et de prétentieux ceux qui estiment que le Québec a une fibre anti-intellectuelle. J'aurais envie de dire: CQFD.

Titre du mois: Pour continuer dans la même veine, notons que Michel Bélair, à propos d'un spectacle à Avignon, a titré: "Troupeau d'intellos à poils". L'image qui fait ta journée...

Lettre ouverte: Dans le New York Times, on trouvait, en début du mois, une lettre d'un homme mourant. Lecture touchante: prescription pour tous! "When the music stops — when I can’t tie my bow tie, tell a funny story, walk my dog, talk with Whitney, kiss someone special, or tap out lines like this — I’ll know that Life is over."

Citation du mois: À propos du tourisme: "Je ne comprends pas cette industrie qui s'applique à vider la plus belle géographie du monde de sa poésie, de son âme, plus criminel encore: de son silence." Pierre Foglia