Bien que j'admette qu'il puisse être utile, quelque chose m'agresse dans le concept de génération. Pour faire vite, on pourrait dire que c'est la généralisation qu'il implique souvent qui m'horripile.
Dans le cadre de l'important débat sur l'éducation collégiale qui a eu lieu ce printemps au Québec, une des lettres publiées par des enseignants traitait des jeunes de la génération actuellement au cégep qui n'ont aucun sens de l'échec. Aucun sens de l'échec?! Comment un être humain (avec une santé mentale à peu près normale) pourrait n'avoir aucun sens de l'échec? Nous avons tous des angoisses qui se creusent comme des failles, des failles dans lesquelles nous nous prenons les pieds plus souvent qu'autrement. Nous avons tous vécu, à des degrés divers, rejet, frustrations, privations, colères, compétition, etc.
Mon malaise face aux théories générationnelles vient du fait que nous détournons un concept sociologique qui devrait être utilisé avec parcimonie pour en faire un concept psychologique avec lequel on tartine tout et n'importe quoi. En témoigne d'ailleurs cet acharnement avec lequel on s'obstine sur les dates du baby- boom pour savoir si telle ou telle personne en fait partie. Comme si d'être né en 1944 ou en 1946 changeait fondamentalement quelque chose à votre ADN ou à vos valeurs.
Le concept de génération détermine des tendances, il peut mettre en lumière des dynamiques sociologiques ou permettre de dresser un portrait de l'air du temps. Il est déplorable d'utiliser les concepts générationnels pour faire une analyse psychologique "Elle est ainsi, c'est une X", "Il agit comme ça, c'est que c'est un Y". Déplorable et absurde.
Mais est-ce vraiment surprenant? Le tout à l'individu et au vécu tant à nous faire «psychologiser» n'importe quoi et à centrer toute analyse sur l'expérience individuelle. C'est entre autres ce qui rend la pensée féministe si difficile. Il n'y a plus moyen de tenir un discours qui s'inscrive dans l'analyse de phénomènes sociaux, il y a toujours quelqu'un pour vous répondre "Moi, il est gentil mon chum." Même phénomène avec le concept de classes sociales rendu quasiment caduque à l’ombre du rêve américain où, comme le soulignait si bien Patrick Lagacé cette semaine, on a convaincu les gens qu’ils sont les seuls responsables de leur sort. Or, la première règle lorsqu'on analyse des phénomènes sociaux, c'est de comprendre qu'un tout n'est pas seulement l'addition de ses parties. Ce n’est pas parce que les hommes sont gentils que le patriarcat n’a pas de poids, ce n’est pas parce que certains individus sortent du lot qu’il n’y a pas d’atavismes de classe.
Chose certaine, tout le monde vit douleur/échec, tout le monde est déchiré entre institutions et liberté, tout le monde évolue dans une quête de sens, d'identité, de valeurs. Il serait absurde d'assumer qu'il y ait plus ou moins de ces mouvements fondamentaux chez l'une ou l'autre génération, même s'ils se vivent et s'expriment différemment, même si chaque individu ne les pense pas avec la même acuité.
Cette réflexion est devenue nécessaire après qu’un café littéraire aux Correspondances d’Eastman nous ait gratifiés de tous les clichés sur l’envahissement des technologies qui minent la liberté de la nouvelle génération. Comme si les générations précédentes n’avaient pas été envahies par la foi, par les idéologies, par les institutions rigides, etc. Or, ce premier niveau d’analyse, me semble cohérent bien que je ne partage pas à 100% ce point de vue. Ça se gâche quand, inévitablement, la discussion générationnelle conclut à un effritement de valeurs et porte des jugements sur les jeunes de cette génération, soudain considérés comme des handicapés du sens.
Ainsi, parce que coincés dans le rythme effarant de la technologie, les jeunes d’aujourd’hui seraient à la fois victimes et agents de notre chute, un peu considérés comme des aliénés qui ne sauront pas prendre le temps de la réflexion. Temps, il est vrai, dont ont amplement profité leurs parents ainsi que le prouvent la prolifération des centres d’achat, l'explosion des théories psychopop et la dictature de la tourbe…
J'aime beaucoup votre coup de gueule contre la généralisation. Les "grilles" d'interprétation qui classent en catégories sont toujours des pièges, bien qu'elles soient également utiles pour admettre des différences réelles entre les différentes catégories. Personnellement, j'ai appris à apprécier les jeunes classés "Y" notamment quand j'ai lu à leur sujet. J'ai compris à quel point certaines générations développent plus que d'autres des particularités. Mais elles sont toujours secondes par rapport à leur personnalité propre et par rapport à ce qui fait notre humanité commune...
Rédigé par : Jocelyn62.wordpress.com | 11/08/2011 à 10:43
La dictature de la tourbe... bien sortie celle là. ;-)
Rédigé par : Maxime | 11/08/2011 à 17:25