Récemment, Christian Liboiron publiait une analyse en deux temps sur l'impact des blogues littéraires et la place que l'industrie devrait leur donner. Je serais bien mal placée, évidemment, pour le contredire. Mais dans la perspective où on accorde plus de crédit aux blogues culturels, qu'arrive-t-il avec la critique professionnelle? En quoi se distingue-t-elle de ce qui se fait sur Internet par des "amateurs"?
Le sujet a été abordé à la table ronde L'Art d'assumer son opinion de La Presse. Malheureusement, les arguments habituellement relayés par les journalistes ne convainquent pas toujours. Qu'il s'agisse de la crédibilité de l'institution de presse pour laquelle ils travaillent, de leur connaissance de la Loi sur la presse ou de leurs diplômes, j'ai toujours le sentiment qu'ils tentent de nous convaincre que qui ils sont nous promet de la qualité que ne nous offre pas les blogues.
Notons d'abord qu'il faut éviter de confondre le blogue avec tous les sites web participatifs où chacun peut laisser facilement son opinion et sa cote étoilée. Le blogue est continu, demande généralement un investissement plus grand et l'anonymat complet s'y fait plus rare. Deuxièmement, j'ai déjà écrit que la force du blogue est que la crédibilité, nous la construisons nous-mêmes. Pour ce qui est de la Loi sur la presse et des dangers de diffamation, bien que réels, ils sont moins sensibles en critique culturelle que dans le domaine socio-politique. Finalement, je ne crois pas nécessaire de m'attarder sur les diplômes (ni sur ceux de certains blogueurs, ni sur ceux de certains journalistes!)
Pour parler plus spécifiquement de critique culturelle, certains blogueurs poursuivent des démarches très sérieuses. Je serais même prête à affirmer que certains de ces "amateurs", les plus talentueux, deviendront professionnels un jour ou l'autre. Or, à quelques exceptions près, il est vrai que la plupart des blogues culturels se maintiennent dans le commentaire appréciatif et le résumé (de lecture, d'intrigue, de spectacles, etc.). Par manque de temps ou de perspective, les blogueurs ne sont généralement pas les mieux placés pour pousser l'analyse un cran plus loin.
Dans le merveilleux Comment parler des livres que l'on n'a pas lus, Pierre Bayard écrit que la culture n'est pas l'amoncellement de connaissances, mais la capacité de faire des liens entre celles-ci. Cet exercice demande temps et énergie, des denrées rares dans les médias traditionnels, mais encore plus rares chez les amateurs. Il semble donc probable que ce soit sur ce terrain que le journalisme culturel pourrait assurer sa pertinence.
Pourtant, dans la plupart des cas, l'espace critique rétrécit et les entrevues avec les créateurs répètent les mêmes tirades promotionnelles d'un média à l'autre. Souvent, on parle des mêmes deux ou trois productions partout. Les angles originaux sont rares et, lorsque j'en trouve, mon enthousiasme débordant me fait passer pour une carencée...
Je l'ai dit à maintes reprises, je ne crois pas que, dans la plupart des cas, les compétences des individus soient en cause. Sauf qu'il m'apparaît que si les médias traditionnels veulent concurrencer la pression du web participatif en matière de critique culturelle, ce n'est pas en affichant le pedigree de leurs journalistes qu'ils y arriveront, mais en offrant un contenu qui se démarque.
Comment peut-il se démarquer? Peut-être en réservant un espace conséquent et une liberté certaine aux critiques pour leur permettre de faire entendre leur personnalité. Le culte de la personnalité est sans doute un danger, mais en critique culturelle, la couleur d'un journaliste fait toute la différence. Pour que la magie opère, il faut que le professionnel ait une liberté de choix, du temps pour fouiller, pour aller plus loin, pour proposer dossiers et angles. (Il faudrait aussi, évidemment, que créateurs et gens du milieu acceptent de "jouer" avec les journalistes hors d'une zone promotionnelle.)
Chose certaine, le web participatif est en constante mutation, mais il ne disparaîtra pas (avec son pire et son meilleur). Le seul pari des pros, c'est de pouvoir offrir plus et mieux que les meilleurs des amateurs. Qui sera prêt à leur donner les moyens et la marge de manoeuvre dont ils auront besoin?
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