C'était sans doute le meilleur projet de société: démocratiser les institutions réservées à des élites. Bien que j'exècre un certain discours qui se vautre dans une nostalgie mensongère pour prôner un retour en arrière, je m'interroge sur nos demi-échecs à ce chapitre.
J'ai déjà évoqué celui de la démocratisation de l'éducation. Le danger de voir ce rêve être détourné est réel (bien que ce détournement ne repose pas dans les mains d'une génération). La démocratisation de l'éducation promettait l'accès, pas la réussite. Bien que nous devons travailler à la réussite, son atteinte ne devrait jamais être aux dépens de la qualité. Je suis particulièrement inquiète devant un discours consumériste selon lequel la réussite devient un droit, d'autant plus qu'elle se paie.
Nous assistons à un mouvement similaire quant à la démocratisation de la culture. Nous avons cru que nous nous battions pour un accès plus large à une culture diversifiée, décoiffante, grouillante. Une culture qui sortirait des temples pour rejoindre les gens.
Malheureusement, il semble que certains aient compris le concept autrement. Plus que jamais, nous nous fions au plébiscite du public pour connaître ce qui a de la valeur. Un vote pour la chanson de l'année. Un prix pour le spectacle qui fait le plus d'entrées. Des enveloppes pour les films qui ont cartonné. Ceux qui ne suivent pas la masse deviennent rapidement des anti-démocrates, à commencer par les critiques que l'on voue régulièrement aux gémonies sous prétexte qu'ils auraient une dent contre la culture populaire. (Référence: La labeaumisation de la critique)
Je me rappelle avoir assisté à une compétition de breakdance. Le système de vote valsait entre les applaudissements du public et le travail de trois juges, dont l'un était en colère. Son propos était limpide: le public aime les stepettes. Il récompense systématiquement celui dont le style est le plus flamboyant, mais il ne peut généralement pas juger de la technique. Je donne cet exemple parce que je n'y connais rien... Mais j'ai été touchée par le ras-le-bol de ce juge qui tentait manifestement de faire de sa discipline autre chose qu'un show de foire. J'ai été touchée parce qu'il correspond exactement au ras-le-bol de plusieurs autres créateurs dans tous les domaines.
Que voulions-nous dire par "démocratisation de la culture"? Nous souhaitions ouvrir la porte des arts au plus grand nombre. Mais souhaitions-nous vraiment que le plus grand nombre ait son mot à dire sur ce qui mérite (ou non) d'être plébiscité? Ou alors c'est que nous croyions - messianiques! - qu'une fois que les gens y auraient goûté, ils ne sauraient plus s'en passer. Que si on leur distillait du Miron ici et là, ils allaient se lancer vers la poésie et délaisser Danielle Steel. Que si nous leur apprenions Molière et Tremblay, ils auraient moins envie du rire gras.
Qu'on me comprenne bien, j'ai toujours été partie prenante de la discussion sur la médiation culturelle et je pense que nous devons, à tout prix, défendre toutes les façons possibles de développer des ponts entre les publics, les artistes et leurs oeuvres. Le travail d'appropriation par le public est une bonne chose, mais il n'est pas tout. Le travail créatif doit encore exister par lui-même, en lui-même, dans des zones d'innovation où, parfois, le grand public ne se retrouve pas.
Le citoyen-consommateur guette. C'est lui qui réclame que ses taxes cessent de payer pour des choses qui ne l'intéressent pas. Il est arrivé un moment où démocratie s'est mise à rimer avec nivellement. Un moment qui correspond, sans doute, avec la prise de contrôle du discours politique par les sondages. Un moment où le citoyen s'est mis à attendre de voir son reflet dans tout avant d'endosser. Une démocratie de zapette, où tout dépend du choix du client.
Il est peut-être temps que les défenseurs de la démocratisation de la culture réitèrent leur engagement aux structures (comme les conseils des arts) qui font de notre univers artistique autre chose qu'une vente aux enchères. J'ai peur que nos bonnes intentions aient été détournées et que nous soyons, petit à petit, en train de larguer l'art au profit d'un discours qui confond démocratie et lois du marché.
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J'avais commencé à écrire ce texte avant d'entendre hier cette discussion sur la démocratisation de la culture à Je l'ai vu à la radio (Émission intégrale, deuxième partie).
Interesting, deep, focused and thoughtful. Merci beaucoup!
Rédigé par : Rafael Peraza | 27/06/2011 à 11:45