On aime un homme quand il est libre
Richard Desjardins
Je prends prétexte de la sortie du numéro de juin de la Recrue du mois pour revenir sur le thème du roman La mort naturelle. J'en ai parlé un peu le mois dernier: malgré toutes ses imperfections, ce livre m'est rentré dedans parce qu'il parle un peu de moi. D'une moi d'avant. À force d'y repenser, je me suis demandée ce qui avait pu tant changer. Et à quel moment...
Puisque le cul, l'incontrôlable désir et l'infidélité font les hautes pages de l'actualité, je me suis dit qu'il était temps d'y revenir. Si même Tristan Malavoy-Racine écrit une chronique sur la question, je peux m'y risquer.
À plus d'une reprise, j'ai exprimé mon ras-le-bol à propos d'une certaine propension des garçons à poser le désir hors d'eux. Une tendance à la victimisation, comme s'ils n'étaient pas concernés vraiment, que ça leur était tombé dessus du ciel. Une tendance à se cacher derrière une biologie plus forte que leur volonté dont le corolaire immédiat est de blâmer les filles qui "ne font rien pour les aider".
J'insisterai sur les garçons, mais les filles aussi se gargarisent souvent à cette idée que le désir est un phénomène incontrôlable, qui s'apparente à la maladie et contre lequel on ne peut rien. C'est absurde puisque le désir est une relation, une communication, et qu'il dépend tout entier de deux êtres et de ce qu'ils ont à se dire (au sens large). Je ne nie pas qu'il puisse être fort, vertigineux même, j'estime juste qu'il est 100% entre nos mains...
Quand j'étais adolescente, je rêvais d'être irrésistible. Je pensais que ça n'arriverait jamais, mais je rêvais que quelqu'un me veuille tellement qu'il soit littéralement incapable de refuser. J'envisageais que le désir se vive à travers une certaine brusquerie, une certaine urgence, quitte à en souffrir un peu. J'étais fascinée par l'idée que le désir d'un homme puisse être fort au point qu'il prenne des risques avec le confort de sa vie.
Bien que je l'avais cru impossible, j'ai finalement rencontré mon quota d'hommes qui m'ont dit que j'étais irrésistible. Dans le sens de: "J'aime ma blonde, mais je ne peux pas te résister." Je n'étais jamais trop certaine de les croire, mais je le prenais comme un compliment. Avec le temps, j'ai compris que c'était un compliment en cheval de Troie. "Irrésistible" se retourne rapidement contre toi. "Irrésistible" devient vite "Elle a tout fait pour ça". Dans "Irrésistible" il y a ensorcellement, il y a un homme dépossédé de lui-même, hors de ses moyens. Il y a un homme qui un jour dira qu'il ne voulait pas ça vraiment, mais qu'il n'a pas pu faire autrement. Il y a un homme qui dira que tu étais une erreur. Il y a souvent, aussi, une femme qui acceptera les excuses et sera la première à blâmer l'autre femme, celle qui abuse de la faiblesse de la chair.
Je suis frappée par la similitude des arguments qui justifient infidélité et violence sexuelle. Je ne sous-entends pas qu'il y a un lien direct entre les deux, mais il est fascinant de constater comment, dans l'un et l'autre cas, on dénoncera souvent une allumeuse. Comment, dans l'un et l'autre cas, il y a un homme qui dira qu'il ne savait plus ce qu'il faisait. Je suis étonnée par la persistance de cette idée de dépossession de soi et d'une certaine irrationalité du désir qui, sans excuser le geste, devrait pouvoir l'expliquer.
Dans sa chronique, Tristan Malavoy-Racine évoque une chanson de Grand corps malade qui m'a toujours mise mal à l'aise. Le coeur, la tête et les couilles ne parlent pas le même langage? Mais pourtant ils ne parlent pas sans vous; ils sont vous! Reste à assumer vos contradictions, comme des grands garçons.
En lisant le roman d'Agnès Olive, je constatais que si je n'ai plus grand sursaut moral devant les infidélités des autres, je n'ai plus de patience pour les états d'âme de ceux qui s'y commettent.
Je réalise, aussi, que mes mythologies ont bien changé. Je n'ai plus aucune envie qu'on me trouve irrésistible.
J'ai envie qu'on m'ait choisie.
Clap clap clap.
Rédigé par : Richard | 15/06/2011 à 09:09
Envie légitime :)
Rédigé par : Manon | 15/06/2011 à 15:26
Curieusement nous sommes quelques-unes en cette période et par ici (France / Belgique) (et d'âges différents, donc l'explication n'est pas là) à avoir à subir le non-désir d'hommes (hétéros, là n'est pas non plus l'explication) qui nous sont devenus proches comme si nous leur plaisions, pas seulement d'affinités électives mais également d'amour, seulement qui au moment où l'on s'approchait tout naturellement du bon ont décrété que non.
Alors des hommes désirants, on aimerait qu'il en reste (au moins un de temps en temps). Dans un sens il est rassurant de se dire qu'il existe un coin de planète où ils existent encore. Peut-être s'agit-il d'un syndrome d'épuisement propre à la vieille Europe ?
Rédigé par : gilda | 15/06/2011 à 16:14
Au nom Gilda, ne te trompe pas, ce syndrome de l'homme ami existe aussi ici (et beaucoup!). C'est juste une autre histoire... ;)
Rédigé par : Catherine | 15/06/2011 à 16:17
PS : La chanson de Grand Corps Malade loin d'être dérangeante je la trouve au contraire d'une belle sincérité - et à ce qu'on en voit de l'extérieur - tellement juste.
Rédigé par : gilda | 15/06/2011 à 16:18
Je la trouve belle aussi, vraiment. Ce qui me dérange c'est que j'y vois cette idée que le corps aurait une volonté propre. Ce qui ne me semble pas vrai. Mais la poésie n'a pas toujours à être vraie (bien que moi j'y réagisse sous l'angle qui me touche dans le cadre de la réflexion présente).
Rédigé par : Catherine | 15/06/2011 à 16:21
Je suis toujours un brin songeur quand l'analyse, puis le constat, "Reste à assumer vos contradictions, comme des grands garçons" se place innévitablement du côté des femmes, comme si c'était là la norme, le repère duquel tout point de vue objectif tirait ses origines. L'expérience m'a appris, a contrario, que bien des femmes portaient en elles cette pulsion du désir absolu, entendons par là ce désir magnifié qui fait abstraction d'une mise en contexte; cette nécessité toute relative de tenir compte de l'après, du genre: "Tu me baises, tu m'aimes?"
Ceci dit, je ne défends pas cette position, laquelle est toujours restée incompatible avec ma propre façon de voir les choses. Je remarque simplement qu'il arrive que le désir échappe à la formule "tout ça reste à 100% entre nos mains." Parfois, ça se passe un peu plus bas, et ce n'est pas nécessairement plus mauvais. Il n'y aurait donc pas là une contradiction fondamentale.
Un ami à moi, au mi-temps de l'âge, avait vu s'assécher le désir au point de détourner tout naturellement la tête quand une jeune femme enfourchait son vélo tout en dévoilant fugacement sa culotte. Il avait intellectualisé le désir tout au long de sa vie au point d'en étouffer toute expression, creusant sa perte, écrasant des fantasmes légitimes, lesquels auraient permis une mort moins absurde.
Rédigé par : Hurlevent | 19/06/2011 à 09:45
Je ne crois pas que mon texte nie l'existence du désir sans contexte chez les femmes, en tout cas ce n'était pas l'intention.
Mon point, c'est que oui, tout ça reste "100% entre nos mains". Ça peut être dans vos couilles ou dans mes hormones et dans nos mains quand même. Vos couilles (et mes hormones) ce n'est pas hors de vous. C'est vous.
Un désir pur certes... Un désir pur qui se finit par "Je ne savais plus vraiment ce que je faisais" ça ne m'intéresse plus. Un désir pur qui se termine en "Je voulais pas vraiment mais elle m'a montré sa culotte en montant sur son vélo" ça ne m'intéresse pas.
J'ai mes propres contradictions, mais quand je me réveille le matin en me demandant ce qui m'a pris la veille, je ne cherche pas le coupable de mes contradictions ailleurs que dans mon miroir. Je veux juste m'entourer de gens capables de dealer avec à ce niveau maturité. C'est tout.
Rédigé par : Catherine | 19/06/2011 à 23:41
Le désir est lié à l'imagination, l'imaginaire et l'imaginaire a cette faculté de partir dans toutes les directions, ou presque.
Souvent je me suis senti pitoyable de désir, si lourd que j'avais l'impression d'être vaincu... Ce désir n'était pas toujours lié à un monde affectif, mais il restait par définition lié à d'autres mondes intérieurs - fantasmes, histoires personnelles, bibittes, et toute cette production de pensées et de songes qui nous aliènent parfois - je crois que oui, l'ensemble de notre sexualité nous ressemble, comme l'ensemble de nos pensées, etc.
Mais qui ose vraiment regarder dans le miroir (c'est à cet instant précis où l'on se réveille)?
Bonne journée!
Rédigé par : Peter Why | 21/06/2011 à 09:26
Merci de votre commentaire. Je le trouve très intpirant.
Rédigé par : Catherine | 21/06/2011 à 19:48