J'ai été ébranlée par Des hommes et des dieux, mais moins que bien d'autres avant moi. J'ai cru à presque tout de ce film (sauf peut-être à cette complète unanimité des habitants du village quant à la présence du monastère).
Mais ce qui m'a surtout touchée, c'est le sentiment de communauté.
Je suis athée du bout des orteils au bout des cheveux et pourtant fascinée par les rituels et par la vie en communauté (peut-être un relent de mon éducation hippie!). J'ai souvent posé la question ces dernières années: "C'est quoi l'équivalent aujourd'hui de rentrer chez les soeurs?" J'aurais voulu marquer ma condition, marquer publiquement mes choix. J'aurais voulu que célibataire veuille dire autre chose qu'en attente de l'amour salvateur. J'aurais souhaité qu'être célibataire ne fasse pas pendre au bout de la vie cette idée horrifiante: mourir seule.
Toutes les sociétés traditionnelles savent quoi faire de leurs célibataires. Évidemment, ça ne donne pas beaucoup de liberté. On est passé des choix rigides qui ne toléraient pas de retour à une étrange impossibilité de se penser en-dehors de la relation amoureuse. Je ne veux pas dire "en-dehors du couple" parce que notre culture regorge d'exemples de vie de célibataires "épanouis". Mais un célibataire épanoui est quelqu'un qui en profite, comprendre qu'il en profite pour être polygame en toute légitimité. Il est tout de même tendu vers la rencontre et vers un certain espoir.
C'est fascinant comment la question de la vie amoureuse occupe l'essentiel de nos neurones disponibles et de nos conversations. C'est ça qui m'épuise. De voir, de sentir que la question "Pis, quoi de neuf?" parle de ça. Que de ça. Ou à la limite, si tu changes d'emploi, peut-être, ou si tu comptes enfin écrire un livre. Ou si tu as des problèmes de santé. Mais sinon... Tu ne peux pas parler de tes préoccupations métaphysiques en réponse à "Quoi de neuf?"
Résultat: depuis que je ne suis pas rentrée chez les soeurs, mais presque, mes amies ne savent plus trop de quoi me parler. Suffit qu'un gars se pointe le bout du nez pour que ça se jette sur moi comme la misère sur le pauvre monde: "Pis, pis, pis..." Puis rien ou en tout cas presque rien. Je n'ai plus envie de caqueter. Je n'ai plus envie de conciliabule pour comprendre l'utilisation du point de suspension à la troisième phrase d'un courriel. J'aurais envie de pouvoir rencontrer sans me noyer dans des considérations absconses sur le sens secret d'un regard en biais.
Cette période de ma vie se solde par une absence de réponses. J'aurais voulu, à la limite, devenir croyante. Mais ces choses-là ne s'inventent pas. J'aime dans la vocation cette idée de jeter la serviette sur une partie de la quête humaine (l'âme soeur?) pour se concentrer sur autre chose. Sur l'intériorité, l'intellect, la spiritualité justement. "C'est quoi l'équivalent de rentrer chez les soeurs aujourd'hui?" Ça n'existe pas. Des jeunes femmes athées on s'attend à ce qu'elles assument leurs choix sans que celui-ci soit marqué d'un rituel et d'une annonce à la collectivité. C'est une bonne chose, ça leur donne le droit de changer d'idée. Entre temps, elles endurent les "Pis, pis, pis..." dont les bonnes soeurs pouvaient se dispenser. Et elles envient la vie en commun des religieux.
Du film de Xavier Beauvois, je retiens donc l'humanité et la collectivité. Les jardins et les chants (magnifiques, grandioses). Un certain idéal collectif calqué sur des rituels. Le calme, l'intériorité, la solidarité. Je retiens la résilience et une certaine acceptation. Une acceptation dont je ne sais s'il faut s'en réjouir ou la déplorer. Moi qui suis épuisée, devant les films d'action, à voir des héros se battre dans des conditions impossibles, j'ai accueilli la scène finale à la fois mortifiée et soulagée.
Soulagée parce que tout le monde sait que le bateau coule à la fin. Tout le monde. Et que malgré l'angoisse, il y a quelque chose d'apaisant à savoir que ça y est. C'est maintenant. C'est fini.
Devant toute mort imminente, la lente déchirure s'achève. La fêlure permanente s'installe.
Et quand elle s'installe doucement, comme un fade out qui nie la violence pourtant évidente, alors la fêlure épouse en vous le vide qui ne vous aura jamais quitté.
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Complément:
Pour voir la bande-annonce du film
La réflexion de Josée Blanchette suite à Des hommes et des dieux
L'opinion de Pascal Bruckner sur la trop grande importance qu'on donne au sentiment amoureux
Photo: Berliner Dom
Je n'ai pas vu le film, mais je me souviens très bien de cet effroyable massacre. Je me souviens surtout m'être demandé comment l'homme pouvait faire cela à son semblable. Je ne sais toujours pas aujourd'hui.
Les années ont passé. L'expérience du divin s'est éteinte. La fatigue, peut-être. Une certaine idée de l'au-delà s'est effondrée avec l'absence de repères. Il vaut peut-être mieux rouler sa pierre au sommet de la colline, après tout.
L'athéisme du XIX siècle, et jusqu'aux années cinquante me semble-t-il, était en lien avec l'histoire commune des hommes; une négation qui trouvait ses assises dans la révolte. Tuer Dieu pour libérer l'homme. Un combat politique, en somme.
Aujourd'hui, l'athéisme est le témoin privilégié du vide existentiel. L'idée même de transcendance s'est dissoute dans la modernité. Nous sommes entrés dans l'erre du "ici et maintenant". L'effondrement du vertical ou profit de l'horizontal. Et avec cet effondrement, la perte du sacré. L'indolente soumission aux technologies en tout genre. À la science surtout, qui nous dit quoi boire, quoi manger.
Mais qu'en était-il justement du sacré?
Toujours un plaisir de te lire.
Rédigé par : Hurlevent | 19/03/2011 à 22:31
Merci pour ce commentaire inspirant! :-)
Rédigé par : Catherine | 20/03/2011 à 09:01