J'entends souvent dire: "Je ne comprends pas qu'on puisse avoir envie de mourir." Bien sûr! Il y a des limites à se projeter dans les autres et certaines émotions relèvent d'une posture radicale par laquelle nous sommes en rapport au monde.
Pour ma part, je ne comprends pas qu'on puisse n'avoir jamais eu envie de mourir.
Nous sommes le 10 mars, je fête "mes 10 ans". J'ai essayé, pour l'occasion, de raconter ce qui s'est passé ce jour-là. Mais pour être honnête, il ne s'est rien passé ce jour-là
Février avait été dur. Février est dur chaque année. En fait, les six mois précédents avaient été particulièrement durs. J'allais mieux. J'ai voulu fêter mon printemps auprès d'un amour qui n'en était pas un. Il m'a menti (comme toujours). J'ai replongé tellement vite que je n'ai rien compris. J'ai essayé au passage de m'accrocher à des contacts virtuels. Personne n'a entendu que ça craquait plus fort que d'habitude. Il faut dire que j'avais maintes fois crié au loup.
Je vous épargnerai la suite. Si ce n'est pour dire que j'avais à peine posé le geste (significatif, mais pas mortel) que je me sentais déjà coupable et pitoyable. Hyper-consciente jusque dans mes derniers retranchements...
Il n'y a rien de cette journée qui explique ce geste. L'explication - en autant que ça ait un sens d'en chercher une - se trouve dans vingt-et-un ans de poussée de croissance à se sentir coupable de tout et de rien. Mal. Mal dans la peau, mal dans la vie. En recherche désespérée d'un sens. Un besoin tellement trop gros, trop grand d'amour. Un sentiment de rejet en intraveineuse. Une préoccupation exacerbée de ce que pense les autres. Une lucidité tranchante devant un monde lourd que j'alourdissais chaque jour. Tout ça sans but. Tout ça pour quoi? Pour mourir un jour dans cinquante ans? Je ne comprenais pas.
L'année dernière, Chantal Guy osait remettre en question cette idée qui veut que le suicide soit une solution permanente à un problème temporaire. Penser le suicide et ses déclinaisons, c'est aussi refuser cet instinct que nous avons devant l'insupportable de mettre l'humain en boîtes, en slogans, en statistiques. Je ne peux qu'être d'accord avec elle.
Aujourd'hui, s'il m'arrive encore d'avoir très mal, comme un éclair, comme un malaise cardiaque, ça ne dure jamais longtemps. Aujourd'hui, je n'ai plus envie de mourir. Mais je n'oserais jamais donner de leçons, je ne connais pas LA voie pour se sortir de là. Sur ce sujet plus qu'aucun autre, je ne peux parler que pour moi.
Ma première étape a été de penser à la peine des autres. Un jour, j'ai compris que quand je dis "Personne m'aime" c'est particulièrement insultant pour la personne qui m'écoute à ce moment-là. C'est niaiseux, hein? Ça m'aura pris vingt-cinq ans pour comprendre que, moi aussi, je peux blesser les gens.
Malheureusement, il aura fallu que quelqu'une meurt pour m'obliger à comprendre ça. Trois mois après mon 10 mars, il y aura dix ans en juin, elle ne jouait plus avec le feu, elle avait fini. Ce jour-là, devant ce cratère immense qu'elle a laissé dans les vies de ceux qui l'entouraient, j'ai compris que des gens m'aiment aussi. Faillible, coupable, intense, imparfaite. Les gens s'aiment ainsi. Humains.
Je dis "ce jour-là", mais ce n'est pas vrai. Il m'a fallu des mois, des années même, pour digérer. Pour me laver de cette ultime culpabilité: n'avoir pas dit "Veux-tu t'asseoir?" quand, une semaine plus tôt, elle était si bizarrement venue me voir à mon bureau. Je l'avais laissée debout, dans le cadre de porte, me demandant ce qu'elle venait faire là. C'était notre dernière fois.
Cesser de dire "Personne m'aime" pour dire un peu plus souvent "Veux-tu t'asseoir?", c'est ma seule philosophie de vie. C'est étonnement christique, mais j'ai décidé de ne pas faire aux autres ce que j'espère qu'ils ne me feront jamais plus. Devant l'absurde non-sens de l'existence, j'ai choisi la solidarité. Les autres sont ma raison de vivre.
Les chantres de l'individu autosuffisant diront qu'il s'agit d'une mauvaise raison.
Je leur répondrai que c'est la mienne. Ça m'apparaît suffisant.
Mon histoire n'est pas un slogan.
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Rappel: Il y a toujours des gens pour écouter: 1-866-APPELLE.
quel beau texte! dure mais belle confession ce matin. merci de partager ceci, vraiment merci.
"Pour ma part, je ne comprends pas qu'on puisse n'avoir jamais eu envie de mourir. "
en effet, moi non plus je ne comprends pas
sans juger qui que ce soit, j'ai l'impression que de c'est être un peu inconscient. Soit de ce qui se passe chez les autres ou autour de soi...Enfin, je juge peut-être trop.
Rédigé par : ma mère | 10/03/2011 à 10:17
Oui on t'aime Catherine. Moi, par exemple, qui t'ai tenue dans mes bras alors que tu n'étais qu'un petit bout de fille de quelques jours, j'aurais eu beaucoup de peine de ne plus te savoir là... Ton texte m'a réjouie car je sais que tu resteras. Ginette xox
Rédigé par : ginette | 10/03/2011 à 13:56
Moi aussi je t'aime Catherine. Je trouve ton texte très positif et je suis d'accord avec toi, que de dire plus souvent «Veux-tu t'asseoir?», va te donner de moins en moins envie de partir, et de plus en plus la conviction que tu peux faire la différence. Merci. Élisabeth
Rédigé par : Élisabeth | 10/03/2011 à 15:50
Wow, un texte aussi touchant... Je ne sais pas si mon commentaire pourra être à la hauteur de ce que tu as partagé ici.
J'ai, moi aussi, tenté l'impensable... Pour tous ces gens qui jugent, nous ne pouvons que leur souhaiter de ne jamais vivre ce désespoir.
Cette force et cette expérience acquise grâce à ces déchirements t'apportent une grande sagesse. Ce texte peut toucher beaucoup de gens! Beaucoup plus que tu peux le penser. :-)
Merci pour ton texte, vraiment.
Rédigé par : James W. Pack | 10/03/2011 à 21:36
La solidarité. Dommage que ça ne soit pas suffisant pour les chantres de l'individualité autosuffisante. C'est parce qu'ils ne se sont pas arrêtés, comme toi, pour y réfléchir. Ils se leurrent de leur autosuffisance. Juste d'être ici, sur Terre, nous dépendons de ... Nous ne sommes que dépendance, en fait. Nous sommes rien seuls ici-bas.
Très beau texte. Mon histoire n'est pas un slogan fesse en plein poitrail.
Rédigé par : Venise | 12/03/2011 à 13:13