Détails et dédales

Quelques conseils de drague (ou pas)

Nonobstant le fait que ma vie amoureuse est un échec cuisant, j'ai quand même quelques idées sur la drague. Mon idée principale est assez simple: la drague est une relation humaine et il y a des limites à techniciser une relation humaine! Quand mes amies me demandent "Comment?" - parce que malgré ma flagrante incompétence dans le domaine, elles continuent à me quêter des conseils! - j'ai tendance à répondre qu'il n'y a pas beaucoup de comment... Surtout du qui. Et sans doute un peu de pourquoi.

Mais je me trompe! Grâce à l'émission 109, je sais maintenant que tout s'apprend. Et vous le saurez aussi puisque, via son blogue (profitez de la belle image en bannière!), le principal protagoniste nous rend l'extrait accessible. Juste pour vous! En version bilingue! Vous ne pourrez pas dire qu'on ne vous tient pas informés.

C'est moi ou c'est affligeant? "On va vous enseigner ce que vous devez savoir avec les femmes." Avouez que ça commence bien! "La femme doit sentir que la valeur d'un homme est égale ou supérieure à la sienne." Sans rire... 

Le Tombeur en chef estime que cet exercice permet de redonner de la confiance aux hommes inscrits. J'aimerais dire "tant mieux", mais je suis surtout tentée par "vraiment?". Je n'ose même pas penser combien ça leur a coûté pour aller apprendre comment se ridiculiser en 5 étapes faciles.

S'il y a une chose qui m'horripile chez un homme qui drague, c'est bien quand j'ai le sentiment que je pourrais être n'importe qui d'autres. Et je ne dis pas que c'est le grand amour ou rien. Même si c'est juste pour le cul, j'aime bien sentir que c'est pour le mien! Or, je ne vois pas comment un gars peut t'aborder avec un pick-up line scripté et que tu puisses avoir l'impression d'être autre chose qu'un numéro...

La séduction c'est deux humains qui percutent, pas une recette de Ricardo!

Prenons un exemple au hasard: moi! Parmi toutes les raisons récurrentes pour expliquer mon célibat éternel, la plus fréquente est que je manque de mystère. Les hommes aiment les femmes mystérieuses, ce n'est pas mon cas, donc je reste célibataire. CQFD. Alors quoi? Je ne suis pas mystérieuse. Je peux bien essayer d'en avoir l'air, me la jouer regards vaporeux et présence évanescente. Si jamais je ne me couvre pas de ridicule en me prenant pour Isabelle Adjani, le pauvre gars va vite déchanter. Je redeviendrai, plus tôt que tard, la fille rude et transparente, frontale et (trop?) assumée, qui pourfend les non-dits et qui refuse les silences complaisants!

Je suis comme ça. Il me faut un gars qui trouve ça adorable les intellectuelles chiantes. Sont rares. Je suis patiente. C'est banal de le dire, mais vaut sans doute mieux être seul que mal assorti.

Mais revenons à nos garçons. Il y a des filles qui aiment les gars timides, des filles qui vont craquer pour des regards fuyants échangés. Je ne dis pas que c'est facile, mais je dis qu'une fille qui aime les gars timides, elle risque de rester l'air bête si le gars dont le regard fuit depuis une heure se lève soudain comme un spring pour venir lui dire de sa voix faussement assurée: "Est-ce que j'ai l'air d'un vendeur de drogue?". Non, mais...

J'ajouterais, quitte à prouver que je suis vieux jeu, que je ne trouve pas inutile, quand tu interromps une conversation, de dire "Excusez-moi..." même si notre Tombeur en chef semble croire qu'on ne peut pas être dans un bar tout en souhaitant avoir la paix!

Je ne veux pas réduire l'angoisse du célibat. Je comprends qu'on panique parce que rien ne fonctionne. Je comprends qu'on cherche des solutions et il y en a sans doute... mais jamais sous la forme d'un manuel Ikea. Ce que je comprends surtout, c'est qu'il y a toute une industrie qui se graisse le patte sur le dos de gens qui n'en peuvent plus de ne plus savoir comment faire.

J'ai pourtant la conviction qu'il y a peu à faire.

Sinon sortir un minimum de chez soi... et tenter d'être. 

 

Quelques considérations sur le relativisme culturel

Après la lecture d'une chronique de Denise Bombardier dans Le Devoir, j'ai eu envie de revenir sur le relativisme culturel. J'ai bien peur que ma pensée soit embryonnaire et qu'elle risque d'être mal comprise, mais je m'essaie quand même en espérant que mes amis et lecteurs, beaucoup plus férus que moi, sauront mettre les mots justes sur mes impressions.

Cette question est toujours présentée comme l'opposition ferme de deux camps antagonistes. Dans le coin rouge, les "relativistes culturels", ceux qui affirmeraient, dans le plus extrême des cas, que l'excision doit être respectée comme coutume (ce que dénonce Mme Bombardier). Dans le coin bleu, appelons-les "libéraux", ceux qui croient qu'existe une telle chose que des droits universels, inaliénables, qu'il faut défendre. Dans ce débat, je me sens prise au milieu du ring, incapable de choisir mon camp. En tout cas, un de ces camps.

Il y a quelques années de cela, j'ai mené, de main maladroite, un débat sur ce sujet dans un de mes cours. J'avais justement pris l'excision comme exemple. Ce jour-là, si je suis allée trop loin en classe (je ne vous raconterai pas comment!), c'est parce que le relativisme apparaît souvent séduisant à certains jeunes qui découvrent le monde et traînent avec eux une culpabilité d'être l'oppresseur occidental. J'essayais de leur faire prendre conscience des horribles conséquences de leur théorie qui se résumait à "Ici aussi on fait subir des pressions aux femmes, alors on n'a rien à dire."

Être conscient de ses failles n'a pas comme conséquence directe de nous discréditer de toute prise de parole. C'est sans doute l'un des plus grands malentendus de la liberté d'expression. Tout le monde semble convaincu que pour avoir le droit de parler, il faut avoir un dossier vierge et rien à se reprocher. Comme si le fait d'avoir parfois tort discréditait en tout! J'ai la conviction que c'est dans la reconnaissance de nos limites, individuelles et collectives, que l'on trouve la crédibilité nécessaire à souligner celles des autres. Nous n'avons pas, comme collectivité, à attendre d'être débarrassée de toutes nos inégalités pour obtenir le droit de dénoncer celles d'ailleurs.

D'autre part, le problème avec la notion de droits universels, c'est que si elle existe, elle est un construit social. Je suis choquée par une tendance du libéralisme dominant à tenter de substituer au vide moral laisser par la mort de Dieu, un cadre moral qui serait lui aussi immuable. J'ai la conviction qu'à partir du moment où je refuse l'idée d'une organisation transcendante du monde, je refuse aussi l'idée d'une justice inhérente à la vie comme phénomène biologique naturel.

Pour faire simple: je ne crois pas que les humains sont naturellement égaux (ou inégaux d'ailleurs!). Je crois que l'égalité est un projet de société, le plus important des projets, le premier pas de celui-ci étant le respect de l'intégrité physique de chacun! Je suis prête à défendre cette conception de la société, mais elle se heurtera nécessairement à d'autres conceptions.

D'ailleurs, je me battrais pour la plupart des droits inscrits dans la Déclaration universelle. Pourtant, en la relisant attentivement, je suis ébranlée par certains libellés et par certaines priorités. Par exemple:

• Article 16.3: "La famille est l'élément naturel et fondamental de la société..." Vraiment?
• Article 17, juste avant le droit à la liberté religieuse, la Déclaration enchâsse aussi le droit à la propriété. Libéral, disais-je...

Ce n'est pas nécessairement sombré dans le relativisme culturel que d'assumer que nos positions sont... culturelles. À mes yeux, elles ne sont que plus solides si on accepte leurs racines et si on accepte qu'elles soient en mouvement, interrogées de façon continue.

Ça implique que tous les arguments du type "C'est ça qui est ça..." sont soudain caduques. Ça implique aussi de refuser de se cantonner dans le "Vivre et laisser vivre" tout en refusant de considérer le cadre de valeurs et le cadre juridique dans lequel nous évoluons comme étant immuables. Et ça implique que l'on prend un risque, parce qu'interroger et discuter c'est aussi donner un pouvoir à l'autre, celui qui défend une conception qui nous heurte.

C'est une position relativement inconfortable, quoi!

Je sais, la vie est compliquée quand on se met à y penser!

PS: Il y aurait sans doute un lien à faire entre ceci est le débat sur les "fausses nouvelles" au CRTC. J'y reviendrai peut-être.

Ma déclaration ou pourquoi j'aime les critiques d'amour

J'aime les critiques. Je les respecte beaucoup. Ils font un métier essentiel et mal-aimé. Toutes les sociétés qui manquent de critiques culturels vous en diront l'importance. Il est primordial que l'art se réfléchisse et qu'il se laisse penser. Par les artistes eux-mêmes, mais par des observateurs aussi.

On entend souvent que la critique n'existe plus, mais je n'irais pas jusque-là. L'espace pour les arts dans les médias diminue et la critique en souffre, certes, mais LE critique, comme petite bête attachante, me semble assez en santé. Je dirais même qu'il a droit à un nouveau souffle avec la conversation induite par les médias sociaux.

Ce qui semble avoir définitivement disparu dans les médias, ce sont les occasions d'échanges francs avec des artistes. On ne reçoit plus un invité pour discuter ouvertement de son oeuvre. L'invité est là pour la promotion, la critique se fait toujours in abstentia.

Un critique m'écrivait cette semaine que presque aucun artiste accepterait de se prêter à ce jeu-là. Aucun artiste ou aucune vedette? Je pense à un paquet d'artistes qui, me semble-t-il, seraient prêts à venir faire face à des critiques dans un contexte intelligent où on discuterait d'art, de démarches artistiques et d'œuvres. À partir du moment où un artiste est impliqué, que sa démarche est réfléchie, qu'elle s'inscrit dans la durée, en discuter fait partie de sa vie. C'est l'industrialisation de la culture qui a entraîné la course à la promotion. Ce n'est pas un mal en soi, mais il ne faudrait pas perdre de vue que la logique industrielle concerne une minorité des artistes. Quand tu vends moins de 1000 livres, y'a pas beaucoup de dangers commerciaux à accepter de venir confronter tes idées. T'as plutôt tout à y gagner.

Mais bon, pour en revenir à ma déclaration, malgré les conditions un peu insalubres dans lesquels ils pratiquent leur métier: j'aime les critiques. D'amour. Je les aime sincères. Je les aime quand ils ont le courage de leurs convictions. Je les préfère un peu condescendants que complaisants. Je les aime informés et curieux. Je les aime aussi quand ils ne sont pas d'accord entre eux! Je trouve ça particulièrement sain, surtout s'ils savent éviter de se traiter de noms d'oiseaux...

Je les aime quand ils savent écrire, parce qu'un bon texte journalistique, c'est aussi un peu de l'art. Je lis religieusement Christophe Huss, pour le plaisir du verbe, même si je ne connais rien à la musique savante.

Je les aime, bien sûr, quand ils me font rire. Et ils me font surtout rire quand ils griffent. C'est un plaisir malsain, mais c'est souvent devant ce qu'ils trouvent mauvais que les critiques deviennent éloquents, vindicatifs et grinçants. Lisez ce très court texte de Marc-André Lussier et celui-ci de Manon Dumais: c'est pas un peu jouissif?

C'est ce plaisir malsain qui explique mes sueurs froides dès que me vient l'idée, d'un jour peut-être, me commettre. Il doit être plus facile de s'y risquer quand on est convaincu que les critiques sont des ratés sympathiques. Je les aime tellement, je vois mal comment, le jour venu, je pourrai jouer le rôle de celle qui n'en a cure.

Je me rassure en me disant que Marc Cassivi ne couvre pas la littérature et que Chantal Guy m'aime trop, elle devra s'abstenir! (On se rassure comme on peut!) Me reste à travailler mes entrées au Devoir pour éviter que Christian Desmeules me torpille!

Sérieusement, s'il faut qu'un jour Tristan Malavoy-Racine mette deux étoiles à côté de mon nom, ça va me faire beaucoup de peine. Mais ce n'est rien à côté de ma déception à l'idée qu'il n'existe plus d'espace médiatique où lui et moi pourrions en discuter. Sauf, peut-être, en 140 caractères...

Et au nom de quoi? De la sensibilité des artistes?

Je suis peut-être cynique, mais s'il faut chercher une zone de sensibilité pour expliquer la disparition du dialogue critique, je regarderais moins dans la région du coeur, que dans celle du portefeuille.

Et comme on le sait, quand il est question de portefeuille, c'est rarement les artistes qui sont concernés. Pas plus que les critiques, d'ailleurs!

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À consulter:

Is the Age of the Critic Over?, The Guardian
Rerportage sur la critique de cinéma et ses mutations à Voir.tv
Balado diffusion du Théâtre français du CNA no. 05.10.2009: rencontre entre Robert Lévesque et Wajdi Mouawad 

 

 

Des nouvelles...

Je ne suis pas portée vers la nouvelle.

En fait, soyons honnêtes, je connais peu la nouvelle. J'en tire parfois un plaisir aussi immédiat que rapidement oublié. Pourtant, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire Neil Smith il y a quelques années et Agnès Gruda, l'été dernier. J'ai lu Poe, souvent avec autant d'effroi que de bonheur. (J'ai lu les Histoires extraordinaires, à la bougie, un soir d'hiver dans mon bain à pattes de la Petite Patrie. Peu conseillé!) Je retiens un vif souvenir aussi du Sourire de la Joconde d'Aldous Huxley, mais je serais incapable de vous raconter l'une ou l'autre des histoires.

On dirait que les nouvelles ne me rentrent pas en mémoire. Elles sont comme des bulles, comme des rêves importants mais dont j'aurais omis de prendre note au réveil. À midi, déjà, je les ai oubliés.

Vous comprendrez que cette réflexion est inspirée par la parution, aujourd'hui, du numéro de février de La Recrue du mois qui met en vedette le premier recueil d'Hélène Ferland, Une nouvelle chasse l'autre paru aux Éditions du Sémaphore. Je ne saurais trop vous inciter à parcourir ce numéro qui révèle l'ampleur de la gamme d'émotions que peut faire naître la littérature.

Devant ma difficulté à adhérer à la nouvelle et sachant que je ne suis pas seule, je me suis dit qu'il fallait remédier à ça et demander l'avis de ceux qui en consomment pour nous suggérer leurs coups de coeur. Mal m'en pris! Je sous-estime toujours la force des médias sociaux: j'ai reçu une vague impressionnante de réponses. Plus d'une trentaine de suggestions! Alors, les voici, en vrac. Vous saurez où venir glaner des propositions la prochaine fois.

Bonne lecture!

Suggestions de Chloé Baril:

Annie Proulx (disponible chez Le Livre de Poche, entre autres)
Yogo Ogawa, Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie (Actes Sud)
Selma Lagerlof, Marbacka (Actes Sud)

Suggestions de Marie-Hélène Vaugeois:

Boris Vian, Les fourmis et Le loup-garou (Le Livre de Poche)

Suggestions de Tommy Allen:

Milan Kundera, Risibles amours (Folio)
Lise Tremblay, La héronnière (Actes Sud/Leméac)
Thierry Horguelin, La nuit sans fin (L'oie de Cravan)

Suggestions de Michel St-Denis:

Roald Dahl, L'invité (Folio à 2 euros!)
Richard Brautigan, La vengeance de la pelouse (10 18)

Suggestions de Marie-Claude B.:

Charles Bolduc, Les perruches sont cuites (Leméac)
Mélanie Vincelette, Qui a tué Magellan? Et autres nouvelles (Leméac)
Nadine Bismuth, Les gens fidèles ne font pas de nouvelles (Boréal)

Suggestions de Raymond Roy:

Hans-Jürgen Greif, Le chat proverbial (Instant même)
Agnès Gruda, Onze petites trahisons (Boréal)
François Lavallée, Le tout est de ne pas le dire (Triptyque) et Dieu, c'est par où (Guy St-Jean)

Suggestion de Tristan Malavoy-Racine:

T.C. Boyle, Histoires cruelles (Grasset)

Suggestions de Richard Gonzalez: 

Yves Simon, Un instant de bonheur (Grasset)
Christophe Gallaz, Les chagrins magnifiques (Zoé)

Suggestions d'Émilie Jolie:

Roald Dahl, Mauvaises intentions: neuf histoires à faire frémir (Gallimard-Jeunesse)

Suggestions de Marc Desjardins:

Salinger, Frannie et Zooey (Robert Laffont)
John Cheever (Folio)

Suggestions de Venise Landry:

Suzanne Myre (Marchand de feuilles)

Suggestions de Jean-Pierre Picard:

Stefan Zweig, Amok (Le Livre de Poche)

Suggestions de Chantal Guy:

Jorge Luis Borges (Folio, entre autres)
Franz Kafka (Flammarion, entre autres)
Flannery O'Connor (oeuvres complètes chez Gallimard et disponible en Folio)
Sylvain Trudel (Les Allusifs et 10 18)

Suggestions de Yohann Hétu:

Nadine Bismuth (Boréal)
Romain Gary, Les oiseaux vont mourir au Pérou (Folio)

Suggestions de Jean-Simon DesRochers:

Raymond Carver (Éditions de l'Olivier et Le Livre de Poche)
John Cheever (Folio)
Anton Tchekov (consultez la liste sur Wikipédia)
Carole David (Les Herbes rouges)
Lise Tremblay (Leméac)
Kevin Canty (Albin Michel)

Un tout petit exil

Fuir n’est pas seulement partir, c’est aussi arriver quelque part.
Bernard Schlink 

Début janvier. Pour la première fois, en plus d'un an, j'ai le blues de Montréal. C'est la faute à Twitter, je crois. C'est que ça gazouille fort dans la métropole et ça donne cette fausse impression que, si tu y étais, toi aussi tu baignerais dans le glamour, le bon vin et les nouveaux amis. Heureusement, pas née de la dernière pluie, je suis passée par d'autres phénomènes de pseudo-sociabilité-geek. Je sais tout ce qui relève de mes fantasmes dans cette impression que ça bouge où je ne suis pas. Je sais surtout que, malgré tous mes efforts, je reste une ermite solitaire et que j'aurais beau courir le monde pour suivre les gazouillis, j'aurai toujours envie de rester de mon côté à observer de loin le branle-bas de combat.

Ce n'était pas une raison pour ne pas rentrer quelques heures histoire de prendre une gorgée de Montréal et de dire bonjour aux copains (ceux d'avant, dans le temps où on ne se tatouait pas #FF sur une fesse pour se dire qu'on est important!).

En débarquant de l'autoroute Ville-Marie, une émotion. Coin René-Lévesque/Berri, on dirait que ça respire mieux. Il me fallait sans doute trouver l'UQAM dans mon champ de vision pour accentuer l'impression de rentrer chez moi. C'est tout de même pas parce que c'est beau, hein? 

Ça m'a fait réaliser que les lieux me manquent beaucoup. Mes lieux de mémoire. Quand je vois l'UQAM, je ne vois pas une douteuse architecture dans les tons de brun, je vois dix ans de ma vie en accéléré. J'ai tout fait dans cette université. J'y ai dormi la nuit même si on n'avait pas le droit. J'y ai pleuré la mort d'une amie. J'y ai pris de méchantes brosses. J'y ai fait la grève, évidemment. J'y ai mis l'épaule à la roue pour fonder un syndicat. J'y ai fait l'amour aussi. J'y ai enseigné (mais pas à la même époque où j'y faisais l'amour, rassurez-vous). Je me suis fait planter des couteaux dans le dos. J'y ai même étudié.

À Montréal, c'est comme ça partout ou presque. Je passe devant un bar et je vois un film. Je suis sur un coin de rue, j'écris un roman. Vous êtes dans cette ville et j'y suis avec vous. Les souvenirs se superposent les uns aux autres. Le métro Mont-Royal sera toujours le lieu d'une douleur insoutenable et, pourtant, je ne peux pas nier que c'est aussi le lieu d'au moins trois premiers baisers dont je me souviens très bien.

Quand on vit loin de nos lieux de mémoire, les souvenirs se réinventent, se tricotent autrement. Petit à petit les filtres s'installent et les images se dotent d'une nouvelle patine. Une texture qui est unique aux souvenirs lointains. Une texture qu'ils garderont puisqu'aucun petit rappel du réel nous oblige à replacer ensemble nos mises en scène intérieures.

Ce n'est pas pour dire que les lieux importent plus que les gens. C'est surtout que les gens vieillissent avec nous, avec leurs propres souvenirs mouvants, leurs propres filtres, leurs interprétations qui souvent chahutent les nôtres. Et puis ils nous voient vieillir, alors des fois ils oublient. Ou alors ils achètent nos souvenirs et les récits que nous en avons faits. Les lieux sont plus stables, témoins muets.

Tout en me cherchant une place de stationnement sur le Plateau, je pensais à ceux qui sont partis de loin pour arriver ici. On évoque souvent que ces gens ont laissé derrière famille, amis, réseaux, emploi. Bien sûr. Mais ils y laissent aussi leurs lieux de mémoire. Ces lieux banals ou magnifiques qui, quand on les croise, soulèvent la poussière sur des bribes de notre passé.

On peut partir pour fuir justement. Mais en se déracinant, on laisse toujours derrière du beau aussi. Il y a dans l'ombre des paysages qui nous ont vus avancer quelque chose qui relève de la parenté.

L'amélioration technologique n'y peut pas grand chose.

Les briques ne gazouillent jamais très fort.

Vous avez dit intello?

Intellectuel: Qui a un goût prononcé (ou excessif) pour les choses de l'intelligence, de l'esprit; chez qui prédomine la vie intellectuelle.

J'aurai de la difficulté à le nier celui-là! C'est vrai que je suis un peu du genre à oublier de sortir les poubelles parce que je suis très préoccupée par une question cruciale. Par exemple: est-ce que les souliers de Cendrillon étaient en vair ou en verre et pourquoi ce débat n'existe pas en anglais? Voilà qui vous détourne de l'odeur de vidange! (Dans mon cas, le terme "excessif" n'est pas de trop dans la définition!)

Paraît qu'il y a pas mal d'anti-intellectualisme dans nos sociétés. Ça explique sans doute ce petit inconfort que je ressens depuis toujours, cette impression persistante d'être un peu différente.

Souvent les gens disent que, nous, les intellectuels, on "encule des mouches". J'admets que j'ai déjà donné un cours qui commençait par une discussion de trente minutes sur "Qu'est-ce qu'une femme?". Certaines personnes peuvent penser que ça ne sert à rien (d'ailleurs certains étudiants le pensaient!).

Pour ma part, je croise sans cesse des tas de comportements qui, me semble-t-il, ne servent à rien. Je trouve que ça ne sert à rien de prendre sa bouffe en photo dans un resto, de magasiner de la tourbe ou d'épousseter toutes les semaines. Je trouve que ça ne sert à rien de s'échanger des recettes (zéro foodie!). Je trouve que ça ne sert à rien de devoir aller chez la coiffeuse toutes les semaines pour sa mise en plis. Je trouve que ça ne sert à rien de discuter d'Occupation double sur l'heure du midi. Je trouve que ça ne sert à rien de faire un pool de hockey. Je trouve que ça ne sert à rien de passer dix heures par semaine à s'occuper de ses placements (enfin, si, ça sert à quelque chose, mais le fastidieux du geste me semble plus lourd que l'utilité du résultat). 

Pour être honnête, j'entends chaque jour des tas de conversations que je pourrais appeler de l'enculage de mouches dans mon livre à moi. J'aurais peut-être dû commencer mon cours par "Qu'est-ce qu'une mouche?" histoire qu'on identifie quelles sont ces zones de la vie qui ne méritent pas notre attention.

Cette réflexion est la parente proche de mon précédent texte sur le snobisme. Souvent on s'imagine que les intellectuels utilisent des mots recherchés juste pour faire chier. Quand tu avances dans la réflexion, le sens des mots prend du poids et leur précision devient chirurgicale. Ça fait partie du métier, comme la maîtrise du bistouri pour d'autres. Arrive le jour où un pays et un État ne sont pas tout à fait la même chose. Le jour où les oreilles te frisent quand on utilise "problématique" comme synonyme de problème (c'est vous dire combien j'ai les oreilles frisées!). Le jour où tu aimes des mots plus précis comme "aporie". 

J'adore le mot "aporie", mais je ne l'utilise jamais parce que je trouve inutile d'utiliser un mot que peu de gens comprennent. C'est un de mes mots préférés avec "gibecière" (que je n'utilise pas non plus, mais c'est plutôt parce que je ne vois pas quand je pourrais l'utiliser). J'aime les mots, j'aime leur histoire, leur logique, ce qu'il porte en eux. Je lis les bulletins de Guy Bertrand avec un complet ravissement. Quand je rapporte ce qui j'y apprends, je me fais régulièrement dire que c'est sans grande importance. Moi je trouve ça fascinant de lire que "On traversera le pont rendu à la rivière!" est un anglicisme et que d'ailleurs, traverser un pont, quand on y réfléchit, ça fait moyennement sens.

J'aime les mots, j'aime les symboles, j'aime comprendre. Alors comme mes phrases commencent souvent par "J'ai pensé à...". La réplique se résume généralement à "Tu penses trop!". Le message est clair: arrête de penser et vis. Le sens commun démontre qu'il semble impossible de faire les deux en même temps. Collectivement, on doit vivre sur un temps rare, parce qu'il me semble qu'au final, on ne pense pas tellement.

Mais bon, maintenant que la masturbation n'est plus un péché, et même, au contraire, un comportement normal dans une vie équilibrée, je reprends espoir. D'ici quelques décennies, les gens portés sur la masturbation intellectuelle pourront peut-être s'adonner à leur plaisir sans qu'on les embête. Et, qui sait, initier de nouveaux adeptes.

 

Vous avez dit snob?

Snob: Personne qui admire et imite sans discernement les manières, les goûts, les modes en usage dans les milieux dits distingués.

On me dit souvent que je suis snob. J'en suis même venue à prévenir les coups en m'affichant... C'est vrai que j'ai, par moment, des poussées de mépris dont j'ai honte. Que je trouve parfois les gens superficiels ou trop peu cultivés. Quand dans un jeu télévisé personne ne peut répondre à "Qui a écrit Sur la route?" ou "Quelle est la capitale de l'Italie?" je suis un peu découragée... Je peux être cinglante et déplaisante, mais la plupart du temps j'essaie d'être polie. J'essaie surtout d'éviter d'individualiser la question (même si parfois j'individualiserais la baffe à mes voisins dans certaines salles de spectacle!).

La première personne qui m'a traitée de snob, c'est ma mère. Je devais avoir 15 ans et je lui reprochais de lire le Journal de Montréal. Je trouvais que c'était un journal inintéressant. Je n'ai pas changé d'idée, mais aujourd'hui je ne reprocherais à personne de le lire (si c'était encore un journal écrit par des journalistes!). Je ne reprocherais à personne individuellement de le lire, mais je déplorerais que ça reste le journal le plus lu. J'ai appris à aborder les enjeux par la lorgnette sociale.

Lors d'une conférence, Angèle Christin nous apprenait que ses résultats de recherche la poussent à conclure à la disparition des snobs tels qu'on les connaissait, c'est-à-dire ceux qui s'intéressaient, en vase clos, à la culture dite légitime (musique classique par exemple). Les gens qui s'y intéressent aujourd'hui sont plutôt des omnivores, grappillant aussi du côté de la culture dite populaire. D'autre part, une large partie de la population s'intéresse uniquement à la culture populaire et ne démontre pas d'intérêt pour la culture légitime. Ça explique sans doute l'attitude parfois paternaliste des "nouveaux snobs" qui souhaiteraient que leurs concitoyens s'ouvrent à autre chose que ce que leur offre les blockbusters. Je suis parfois méprisante, mais avec de bonnes intentions!

Ce qui est fâchant dans le fait de se faire traiter de snob c'est qu'on sous-entend la définition citée plus haut. Je suis snob parce que je fais semblant de m'intéresser à une certaine nourriture intellectuelle pour bien paraître. (On se demande "bien paraître" auprès de qui puisque la majorité des gens te trouve snob!) Je vous rassure, je ne "comprends" pas toujours la poésie, la danse contemporaine ou les romans alambiqués, mais si je prends la peine de dire que ça m'a plu ou émue ou intéressée, je le fais avec sincérité. J'ai peu d'intérêt, par exemple, pour la musique instrumentale, mais il ne me viendrait pas à l'esprit d'accuser les adeptes de faire semblant!

Qu'elle ne fut pas ma surprise d'entendre Nathalie Petrowski déclarer, à propos du dernier film de Sofia Coppola, à Six dans la cité (premières minutes de l'émission) : "Y'a des gens branchés, poseurs, snobinards qui aiment ça... et ça m'énerve." Je n'ai pas vu le film et je ne me mêlerai pas du débat esthétique, mais je trouve inconcevable qu'une critique accuse d'autres critiques d'être snobs. De faire semblant pour se donner un genre. Le message est clair: si moi j'ai détesté, ceux qui disent avoir aimé sont des poseurs. Un commentaire qui sent le relent de populisme et qui me rappelle mes pires années d'école secondaire où dès que ton goût ne concordait pas avec celui des grandes gueules du coin, tu étais quitte pour te tailler une place dans la catégorie des péteux de broue! 

Le mépris est comme tout le reste: il a généralement deux faces. Ce mépris-là n'est pas moins détestable que le mien dont je parlais d'entrée de jeu.

Il me semble que nous sommes bien peu dans la bande des maniaques de culture. Trop peu à trouver cela gratifiant, inspirant, transportant, nécessaire. Le minimum serait qu'on puisse être en désaccord sans se traiter de snobs...

Ils sont assez nombreux, à nous attendre au détour, le mot déjà au bord des lèvres. Ils n'ont pas besoin qu'on commence à se bouffer entre nous en utilisant leur langage. Un langage qui remet en question notre plus grande richesse: la sincérité avec laquelle on accueille les oeuvres qui nous sont offertes.

Le deuxième volet intitulé "Vous avez dit intello?" sera publié mercredi prochain.

 

 

Prendriez-vous quelques murs avec ça?

Si on s'arrête à faire la liste des murs que le développement des technologies de l'information fait tomber... ça donne le tournis. Les journaux débordent de réflexions sur l'impact des technologies sur les mouvements qui secouent des jougs dictatoriaux ici et là sur la planète, ébranlant des murs politiques de silence.

Mais qu'en est-il des murs de notre quotidien?

On a beaucoup parlé des murs effondrés entre nos vies personnelles et professionnelles. Parce que le courriel et le cellulaire nous suivent partout, certes, mais aussi parce que les médias sociaux représentent un étalement incontrôlé de la sphère publique. Ce qui me frappe surtout c'est la confusion de plus en plus importante entre la sphère publique et la sphère privée.

Facebook a pourri le mot "ami". Je n'ai pas 752 amis, la cause est entendue. Ça m'aura tout de même pris beaucoup trop longtemps à comprendre que si c'est un outil de réseautage, peut-être que je peux lui épargner mes états d'âme à la minute...

Twitter est une autre bébitte. Pas d'amis ici. Je m'excuse d'être rude, mais faut vraiment n'avoir rien compris pour gérer ses abonnements Twitter sur une base de réciprocité comme sur Facebook. Oui, oui, vous pouvez vous intéresser à quelqu'un qui ne s'intéresse pas à vous. La vie est cruelle, c'est vrai! Et puis Twitter est beaucoup plus flexible que Facebook quant à la gestion de l'information et il ne faut pas assumer que tout le monde le gère comme nous. Personnellement je ne serais rien sans Tweetdeck, sans mes listes et je doute pouvoir dépasser de beaucoup le 280 et quelques abonnements que j'ai en ce moment.

Pourtant, sur Twitter aussi la confusion existe entre l'espace public et l'espace privé. Je me sens souvent comme dans mon salon, mais je connais bien les sujets sur lesquels vous ne m'entendrez jamais. Si le samedi après-midi je garde un oeil sur la fenêtre qui gazouille, je ne suis pas dans un café avec des amis pour autant. Alors, bien sûr, je ne me mêle pas de certains débats, réserve oblige. Et je me mêle d'autres discussions, par un étrange sentiment d'obligation professionnelle, même si je ne suis pas assise dans mon bureau. 

C'est comme si en tout temps j'étais à la fois un brand de moi-même, mais aussi un brand de mon employeur, de ma communauté. Alors je garde les buts et je me fais porte-parole de mon milieu. Sept jours sur sept. Sans même me poser de questions. J'y crois bien sûr, sinon je ne ferais pas ce métier-là. Mais au point de défendre certains de mes mandats le vendredi soir à 23h00 en regardant C'est juste de la TV... avec du monde que je ne connais pas (faut-il le rappeler!) ?

C'est sans doute banal de le dire, mais on assiste peut-être à la réduction, comme peau de chagrin, de l'espace privé et je ne suis pas toujours certaine qu'on en mesure les conséquences.

Simon Jodoin l'a bien démontré, ces espaces présentés comme "sociaux" sont en fait de gros marchés à étiquettes.  J'aimerais bien savoir comment vivent avec ça ceux qui ne sont pas des nobodys et qui passent, ma foi, une bonne partie de leur vie devant leur écran. Qu'ils le veuillent ou non, ils alimentent tout ce temps leur personnage public, sans jamais avoir la liberté qu'ils retrouveraient enfin dans un espace privé.

J'ai déjà écrit jusqu'à quel point je constatais tout l'impact malsain que ça avait sur la groupie qui sommeille en moi. Depuis ce texte qui date d'à peine un mois, je suis encore chaque jour étourdie par cette impression de proximité. Sa vacuité. Mais si je me sens parfois lamentable, je peux facilement me consoler en me comparant. Les gens se permettent des commentaires inconcevables de familiarité, des jugements complètement décoiffants sur les "vedettes" et leur vie privée, des insultes qui me laissent pantoise. 

Il y a des moments, en surprenant certains échanges, je suis bien contente d'être une nobody. Je n'aurais pas la patience et la résilience de certaines et certains qui doivent gérer vraiment de tout. (Moi y compris...)