Je termine tout juste To Kill a Mockingbird de Harper Lee, lecture du Blogoclub, et grand classique de la littérature américaine. Le roman fête cette année son 50e anniversaire et a remporté le Pulitzer en 1961. Récit d'une enfance en Alabama, l'histoire de Scout Finch et de son frère Jem est bien connue, surtout en Amérique du Nord anglosaxonne où le livre fait partie des incontournables lectures scolaires. Il faut dire que les considérations sur la différence n'ont jamais de fin...
Alors parlons-en, de l'Autre, tant que nous y sommes.
C'est que je me force à lire les versions originales anglaises depuis quelques mois pour améliorer ma deuxième langue qui traîne de la patte. Qui traîne de la patte dans la mesure où je la traite comme une langue, et non pas comme un ticket d'autobus express de 250 mots qui me permet de commander au resto Viet d'Ottawa, de me faire comprendre dans un hôtel de Toronto ou de commander une bière dans un bar de New York.
Pas une langue de touriste, pas une langue pratique, pas une langue utile. Une langue, le socle d'une culture. Celle de Shakespeare sans doute, mais aussi celle de Cohen. Celle de Roth et Auster. Celle de Poe.
Je veux juste profiter de ces 375 pages qui m'ont fait plonger dans l'Alabama du Sud (l'accent du Sud et ses nuances révélatrices des classes sociales) pour dénoncer cet espèce de snobisme latent avec lequel on considère trop souvent l'anglais. Une langue moins poétique que la nôtre, moins riche, moins intéressante.
Une langue plate.
Un anglais d'affaire. Un anglais d'aéroport. Un anglais qui n'est plus une langue. Tout juste un code. (Il m'arrive de me dire que l'anglais, malgré les apparences, sera la langue la plus perdante de la mondialisation parce que circule de plus en plus cette idée que c'est une langue simple, à la portée de tous, sans relief.)
Pour revenir à To Kill a Mockingbird, j'ai bien aimé! C'est une jolie histoire. Le problème c'est que je ne m'intéresse pas aux histoires, ou si peu. Ce qui m'intéresse dans la littérature, c'est la littérature. C'est le mot, le ton, le style. Je ne sais pas entendre ça en anglais. 375 pages de frustration à comprendre sans entendre.
The varmints had a lean time of it, for the Ewells gave the dump a thorough gleaning every day, and the fruits of their industry (those that were not eaten) made the plot of ground around the cabin look like the playhouse of an insane child: what passed for a fence was bits of tree-limbs, broomsticks and tool shafts, all tipped with rusty hammer-deads, snaggle-toothed rake heads, shovels, axes and grubbinh hoes, held on with pieces of barbed wire. (p. 228)
J'ai compris, mais je n'ai rien entendu vraiment.
Bien sûr, je sais que c'est à force d'en lire que j'y arriverai. Mais quand je lis et je relis cette phrase à tiroirs, je la trouve belle. Je la trouve riche. Je trouve le vocabulaire poétique. Je ne la trouve pas plate, chose certaine. Et je ne serai sans doute satisfaite que quand j'entendrai quelque chose entre les lignes.
Apprenez l'italien, l'espagnol, l'allemand, le mandarin, le japonais, on vous comprendra. Apprenez l'anglais pour l'apprendre, pour le comprendre, pour l'entendre (et pas pour avoir une promotion) et de nombreuses personnes vous regarderont, la bouche un peu ouverte, incrédules. Mais pourquoi?
Parce qu'ils appellent les coccinelles des ladybugs, les filigranes des watershades et qu'ils savent placer indeed juste au bon moment.
Ça ne vous semble pas suffisant? Moi je trouve que c'est un excellent départ...
Quand maîtrisée parfaitement, toute langue révèle ses beautés inhérentes. Mais pour y arriver, il faut s'accrocher... un jour, tu sauras que tu es devenue parfaitement bilingue (ou trilingue) quand tu ressentiras intimement les subtilités entre les termes et que tu pourras rêver en cette langue qui n'aura plus rien d'« étranger ».
De mon côté, depuis quelques mois, je me laisse peu à peu gruger par une nouvelle langue. Je la laisse s'immiscer dans mon conscient et mon inconscient. C'est déroutant mais aussi inspirant.
Rédigé par : Lucie | 05/12/2010 à 11:48
Je réagis toujours quand j'entends que l'anglais est une langue plate car ayant grandi dans un milieu et une famille très francophone, mais avec un groupe d'amis très anglophones, elle a pour moi une connotation tout autre que le français et a sa musique à elle, sa couleur. Elle fait partie de moi, de mon histoire personnelle, avec un statut distinct du français.
Je comprends ce que tu ressens par contre car quand j'essaie une nouvelle langue, je reste souvent sur ma faim car je ne vois pas "tout de suite" les nuances, la poésie, ce qu'il y a entre les lignes. Et comme je suis la reine des paresseuses... je ne poursuis généralement pas très longtemps. Mais je suis certaine que tu y arriveras.
Rédigé par : Karine:) | 06/12/2010 à 10:50