- Ce n'est pas comme cela. Cela n'existe pas.
- Si je l'invente, est-ce que cela existe?
- Si tu l'inventes, cela existe.
- Alors cela existe
(Extrait, de mémoire, de la nouvelle création de Marie Brassard.)
Hier soir, au Centre national des arts d'Ottawa, c'était la première du spectacle Moi qui me parle à moi-même dans le futur de Marie Brassard.
Je voudrais d'abord dire que la question "Est-ce que c'est bon?" est une question réduite. Comme "Es-tu heureuse?". Des questions finies. Parce qu'elles ferment le champ des possibles, elles se figent, tendues, dans l'atteinte d'un but. Un but conceptuel, abstrait. Le bonheur. Le plaisir.
Tout cela ne m'intéresse pas vraiment parce que ce qui m'intéresse, c'est le mouvement. La marche vers... Ce sont des questions morales et hypocrites. Hypocrites parce qu'elles cachent qu'elles sont morales. Derrière la question "Es-tu heureuse?" il y a déjà une conception de ce que doit être le bonheur. Derrière la question "Est-ce que c'est bon?", il y a aussi une conception, qui ne se dit pas, de ce que devrait être un bon spectacle.
Je n'ai pas passé un bon moment. En tout cas, pas tout le temps. J'ai passé une dizaine de minutes très pénible. J'ai failli sortir.
C'est qu'à travers son champ de recherche, sa quête identitaire, son parcours sur le chemin de qui elle est, Marie Brassard fait un passage par l'hypnose. À l'écran: les fameux cercles concentriques qui s'accélèrent. Dans les haut-parleurs: sa voix, modifiée, devient celle d'un homme. Un peu autoritaire. Hypnotiseur quoi. "Je rentre dans ta pensée."
L'hypnose est, pour moi, un sujet intime et douloureux. Je l'ai toujours su, mais je ne l'avais jamais compris comme ce soir-là. Tout mon corps a refusé. Les images d'abord: fermer les yeux. Le son surtout: boucher les oreilles. Respirer. (J'ai horreur des gens qui ne se maîtrisent pas, j'ai horreur des gens qui paniquent. Je ne vais tout de même pas sortir en plein milieu pour ça!) Je n'ai qu'une envie: kicker. Tout mon corps veut kicker, empêcher cet intrus de rentrer. Ce double intrus: le faux souvenir de l'hypnose et la créatrice qui le réveille. Mais je suis entourée de gens que je ne connais pas. Alors je respire et j'espère que ça ne durera pas trop longtemps.
Est-ce que j'ai trouvé bon ce spectacle qui n'a rien d'aimable (au sens le plus mièvre du terme)? J'ai aimé être bouleversée. C'est à ce prix que je fréquente ce genre d'endroit, parce qu'une fois sur vingt, cela ce produit. Le créateur met le pied sur ton petit orteil et tu n'as qu'une envie, le kicker hors de ta bulle. Pendant quelques minutes, j'ai voulu lui refuser le droit de me faire ça.
Heureusement, le spectacle s'est terminé en douceur et j'aurais même pu oublier le cauchemar si je ne m'étais pas permis et promis de vous écrire ceci.
Parce qu'on dirait facilement que le spectacle de Marie Brassard n'est pas intelligible. On dirait sans doute qu'il est provoquant. On voudra dire aussi que c'est de la masturbation intellectuelle.
Pour ma part, il a fait bouger, lentement, mes continents.
Il m'a aussi fait réaliser que certaines personnes tentent de me rendre intelligible. Aimable. Il m'a fait réaliser qu'il est plus insécurisant de vouloir créer loin de la notion du "bon moment à passer". Insécurisant de vouloir prendre le risque d'être moins aimée, pour, chez certaines personnes, faire une différence.
J'ai aussi eu une pensée pour tous ceux qui trouvent que je réfléchis trop. Je ne sais pas ce que trop veut vraiment dire. Mais je me dis que ça peut sans doute compenser si jamais il y a des gens qui ne réfléchissent pas assez.
PS: Ce texte tape 58 sur Scolarius. Primaire bas. C'est grâce à ma tendance aux phrases courtes. Sans verbe. C'est drôle, non, pour un texte qui s'intéresse à la notion d'intelligibilité?
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