La vie par procuration n'est pas née avec le 2.0. Quand on y regarde de plus près, le 2.0 réinvente moins les rapports humains qu'il les exacerbe. Il bonifie sans doute certains d'entre eux, mais au final il me semble surtout qu'il les exacerbe. (Je ne prêche pas pour le retour à la correspondance à la plume, mais puisque l'innovation draine avec elle son lot d'enjeux, vaut mieux les regarder en face.)
Nous avons une image assez claire de ce qu'est une groupie (il semble que sur ce thème, le féminin l'emporte haut la main!). La groupie perd ses moyens devant son idole, elle peut même s'évanouir. La groupie jouit presque quand son idole parle, chante, bouge, danse... et à plus forte raison s'il la touche! La groupie court les autographes, les photos de vedettes, les magazines à potins et toute source d'information qui lui permet d'avoir l'impression de connaître quelqu'un qu'elle ne connaîtra jamais. On comprend que le 2.0 ouvre des possibilités jusqu'ici insoupçonnées pour la groupie.
Surtout que certaines vedettes jouent la carte de la transparence: leur compte Twitter n'est pas une simple vitrine de produits, mais un vrai journal de bord. Ils discutent, répondent, accueillent critiques et compliments. Un bel espace pour la groupie qui veut apprendre à connaître "pour de vrai" son idole. Quand vous le croiserez dans la rue la prochaine fois vous pourrez lui parler de telle blague qu'il a faite, des premiers pas de son enfant, de son souper de Noël ou du dernier film qu'il a vu. Pratique! Une source inépuisable de pick-up lines.
De façon générale, Twitter et Facebook ouvrent aussi la porte à une myriade de commentaires convenus du type: "T'étais bon dans telle émission!" ou "Wow, comme tu étais sexy ce soir!". (Ajoutons qu'il y a souvent plus de fautes d'orthographe que dans mes exemples. Parce que si les médias sociaux nous prouvent une chose, c'est que le monde ne sait pas écrire!)
Je sais, je suis méprisante. Pourtant...
J'ai bien sûr été adolescente moi aussi. J'ai dormi dehors en plein hiver pour voir de près Jon Bon Jovi. J'ai frenché, en mon temps, mon poster de New Kids on the Block. À 10 ans, j'ai même pleuré toute une nuit parce qu'on m'avait dit que Roch Voisine était gai, ce qui contrecarrait assez gravement mes projets d'avenir.
Mais même adolescente, membre du Fan Club de Bon Jovi, je regardais les photos des fans finies de 25, 30 ou 40 ans dans la revue du Club, et je me disais: "Get a life!". J'étais déjà lucide et il me semblait bien que malgré l'intensité de ce que je vivais, ça devait s'arrêter avec la vie adulte.
Alors, on vieillit et le groupisme se meurt? Non!
On vieillit et on réalise que le système solaire québécois est tout petit. On change et on devient une groupie chummy-chummy. On se la joue cool et au-dessus de ces affaires-là. Pour la groupie chummy-chummy, la vedette québécoise n'est pas quelqu'un de différent, même pas quelqu'un d'intimidant. Cette groupie-là n'établit pas de distance. Elle ne court pas vers son idole quand elle le croise dans la rue, mais lui sourit d'un air complice. Elle ne veut pas de photo autographiée, mais rêve de se faire inviter pour une vraie discussion autour d'un café. La groupie chummy-chummy connaît aussi une nouvelle vie grâce au 2.0. Une vie qui est faite de défis: il va me répondre, elle va me retweeter, elle va me suivre, il va devenir mon "ami".
La groupie chummy-chummy méprise la groupie traditionnelle, parce qu'elle se sent plus intelligente. Intelligente? Sans doute. Équilibrée? Peut-être pas. D'une groupie à l'autre, un seul constat: un putain de grand vide. Un vide abyssal.
Je suis près de 200 personnes sur Twitter. De ce nombre, le quart sont ce que j'appellerais des "vedettes". J'y inclus des acteurs, des humoristes, des écrivains, des journalistes qui ont une certaine aura médiatique. En tout cas, ce sont tous des gens que je ne connais pas et que je suis parce que leur art et leurs réflexions m'intéressent. Et leur vie aussi, finalement. Un peu. Beaucoup, même parfois.
Il m'arrive de me surprendre à parler de quelqu'un comme si je le connaissais. Il m'arrive de m'étonner de cette impression, fausse, de proximité. Il m'arrive de trouver que tout ça prend beaucoup trop de place dans ma vie. Il m'arrive de penser que je ne dois pas être seule dans mon cas. Non?
Il m'arrive surtout de me dire qu'une groupie civilisée n'est encore qu'une maudite groupie.
À deux doigts de la maladie mentale. Cachée dans un désert de relations-fictions.
Une vie par procuration.
Ambiance musicale de circonstance...
J'aime beaucoup tes textes, je prends toujours un grand plaisir à m'arrêter ici. Merci!
Rédigé par : ma mère | 29/12/2010 à 12:12
Merci ma chère, ta constance est appréciée! :o)
Rédigé par : Catherine | 29/12/2010 à 12:26
Je me revois écrire à Rice sur sa page Facebook, et elle de me répondre! (oulala, bénédiction suprême!). Tu as probablement raison quand tu parles de relations-fictions qui frôlent la maladie mentale (mais on ne le dit pas à mon copain surtout, qui est un fan fini d'Ariane Moffatt! haha). Ce n'est pas la seule chose d'ailleurs qu'apporte de semi-malsain les médias sociaux. Me vient en tête ce vidéo (http://www.youtube.com/watch?v=LOG2nUBYpm4) qui présente ce que ça peut donner... (je ne le trouve plus en français malheureusement) certes en un peu exagéré, mais à peine... Très intéressant en tout cas, comme toujours.
Rédigé par : Maxime | 29/12/2010 à 18:05
Belle réflexion... Et surtout, bien rendue!
C'est vrai qu'avec Twitter entre autre, on a l'impression d'être assis dans un salon avec les "veudettes" que l'on suit tous comme des voyeurs (jamais) guéris!!
Avec la popularité croissante de cet outil, qui demeure toutefois très puissant pour échanger du matériel d'intérêt (comme des liens vers des réflexions édifiantes comme celle-ci), il sera intéressant de voir si à un certain point le "réseau" ne deviendra pas saturé... et par le fait même la sensation de proximité qu'il crée ainsi dissolue.
Une proximité qui demeure virtuelle, on s'entend!
Au plaisir de te relire... Car en 2.0, om peut se tutoyer right?
Rédigé par : Jean-Francois | 29/12/2010 à 23:14
Merci Maxime.
@Jean-François: en effet, peut-être qu'un plus grand achalandage va diluer cette impression de proximité. Peut-être aussi que l'augmentation de l'achalandage va obliger les gens connus à revoir un peu leur façon de faire. Mais dans tous les cas, le 2.0 n'est qu'un nouvel outil pour mettre en corps une tendance sans doute normale (le voyeurisme) qui est moins saine chez d'autres personnes qui comblent ainsi des vides.
Et pour le tutoiement, ça fait partie de la proximité, sans doute. ;o)
Rédigé par : Catherine | 29/12/2010 à 23:40