Dans le milieu de l'enseignement, on entend beaucoup dire qu'une question niaiseuse ça n'existe pas, il n'y a que les réponses qui peuvent l'être. C'est plus ou moins vrai. Il y a des questions vraiment niaiseuses. Mais leurs racines ne le sont jamais: une question niaiseuse parle soit d'ignorance, soit d'un réel problème d'apprentissage. Il y a des questions niaiseuses, mais ça ne justifie pas que la réponse le soit. La réponse doit toujours être à la hauteur et même au-delà, parce que son devoir c'est d'adresser tout ce que la question niaiseuse ne dit pas.
C'est un peu la même chose avec les "faux débat". J'ai l'impression que ça n'existe pas. Un débat peut-être mal posé, surtout si ses termes ne sont pas clairs. J'ai moi-même affirmé, en février, qu'un certain débat sur Twitter était un "faux débat", mais en fait, ce que je voulais dire, c'est que la question était mal posée. "Est-ce que la télévision est un art mineur ou un art majeur?" est une mauvaise question puisque la télévision est un moyen de diffusion. S'ajoute à cette première confusion une deuxième qui, elle, relève d'un débat qui n'a rien de faux: qu'est-ce que l'art?
On a beaucoup entendu parler de "faux débat" récemment. La "madamisation" en était pour certains. Pour d'autres, c'est l'affaire Cantat qui ne méritait pas d'être débattue.
Comme toute notion de "faux", celle du "faux débat" s'oppose à l'idée de ce qui est vrai (comme dans "vrai monde" et "vrais hommes" et "vraies valeurs"). Dans le cas qui nous intéresse, nous devrions entendre "important": un vrai débat, c'est un débat important. Certains ont souligné que nous perdions beaucoup de temps en broutilles tandis qu'une campagne électorale se joue (quelque chose d'important). Or, il me semble que si la majorité des gens s'intéressait à la qualité des médias ("madamisation") ou à des notions éthiques et philosophiques telles que celles évoquées par l'affaire Cantat, nous aurions moins de boulot pour faire sortir le vote le 2 mai. Soyons concret: ce n'est pas ceux qui ont investi de nombreuses heures des dernières semaines à réfléchir et à débattre de l'un ou l'autre de ces sujets qui détournent l'attention de la politique concrète. Ce n'est pas être un drop-out social que de s'interroger sur le sens des choses et il faudrait se lever tôt pour me convaincre que l'affaire Cantat a enlevé à la campagne des heures médiatiques qu'elle aurait méritées.
Maintenant, est-ce que la campagne est bien couverte par les médias? Ça c'est une autre question qui n'a rien à voir avec l'affaire Mouawad-Cantat. Une autre question qui n'est pas si étrangère au premier "faux débat". Tiens donc.
Je déteste me faire dire que ce qui m'intéresse n'est pas important. Ce blogue ne s'appelle pas Détails et dédales pour rien. C'est vrai que je me situe souvent au niveau symbolique de l'analyse, à l'image de l'image. À mes yeux, nous n'avons aucune prise au réel qui n'est pas médiée par nos multiples filtres. Et les premiers pushers de ces filtres ce sont le sens commun, les médias et la culture populaire. J'ai la conviction profonde que les images qui nous entourent nous forment, nous sculptent, nous construisent. Ce faisant, interroger des images n'est jamais vain. Jamais faux. Tout détail peut être révélateur si on l'observe sous une bonne lumière.
Ça me rappelle une personne qui a participé un temps au même Club de lecture que moi et qui demandait, un peu exaspérée de nos analyses: "Peut-être n'est-ce pas obligé qu'il y ait une portée sociale à tous les livres?" Ma réponse: il y A une portée sociale à tout geste posé en société, et publier un livre en est un. Monter une pièce de théâtre aussi. Et que dire d'animer une émission de radio ou d'écrire une chronique.
Ce n'est pas que l'auteur de ces gestes soit obligé d'y avoir pensé, mais malgré lui il participe à la construction de cette chose: vivre ensemble. Ce faisant, il est normal que des gens puissent prendre l'envie d'interroger ces gestes, leur sens et leur impact. Au premier abord, ce n'est pas aussi concret qu'une campagne électorale, mais ça a des conséquences qui peuvent être bien plus profondes encore.
Et ça n'a rien de "faux" en soi.
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